Reprendre corps
Réécrire l'Histoire et les histoires, se réapproprier le corps du texte. Si le langage forme notre façon de penser, les légendes et mythes fondateurs façonnent notre perception du monde. Et si nous avons les mythes en commun, c'est bien pour les questionner, les interpréter et faire un lieu où l'imaginaire peut influencer le réel.
Animé par Willy Richert.
Avec les auteur·rice·s
Estelle Faye (La Dernière Amazone, Rageot),
Murielle Szac (L'Odyssée des femmes, L'Iconoclaste et L'Odyssée d'Homère, RMN),
Stéphane Bientz (Le Goût du sel, Espaces 34)
et Nicolas Jaillet (Frater, In8).
Avec la participation de Faustine Aynié-Yvinec et des élèves de 3eA du collège Valmy - Paris (75). Un grand merci à Eva Mouillaud, professeure.
Et la voix de Cécile Ribault Caillol pour Kibookin.fr
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Pour perdre toute notion de sa dignité humaine, rien de tel que le gynéco. Le ou la. Homme ou femme, peu importe. La posture suffit. Allongez-vous sur le dos, à poil. Écartez les jambes. Soulevez-les. Passez-les dans les étriers. Exhibez votre entrecuisse. Votre dignité est là.
-Un test de grossesse ? répète la pharmacienne en hurlant. Oui, bien sûr ! Vous avez une préférence ?
Une préférence. Julie observe la rouquine en espérant lui faire comprendre que sa question a peut-être un petit quelque chose de bizarre. Existe-t-il, selon elle, des gens qui consomment assez de tests de grossesse pour avoir leur marque préférée ?
Bon, les mecs ! Que les choses soient claires : ça reste un dîner de filles. Vous savez ce que ça veut dire.
- Faut qu'on mette des jupes ? demande Patrick.
(…)
- Nan. Ça veut dire qu'on est des putains de princesses. On fait ce qu'on veut. On rote, on pète, on se gratte les couilles...
- … comme des princesses, hasarde Samy.
Magali le fusille du regard. Elle n'a pas fini.
- Mais surtout... (…) surtout... (…) on a toujours RAISON !
Si elle reste seule ce soir, elle va vider sa bouteille de vodka, c'est écrit. Elle connaît trop bien ces débuts de nuit, quand la solitude est trop forte. Ça va finir en slip sous une pluie d'automne, à chanter du Mike Brant en attrapant une pneumonie.
- Can I Help you, miss ?
(...)
- Obviously, dit-elle.
Elle est assez contente de sa réponse. Elle a trouvé un vrai mot anglais du premier coup. En temps normal, elle aurait répondu : "apparemmently" ou " evidemmentely" ou " biensurquetly" . L'homme n'aurait rien compris. Au contraire, il lui adresse un petit sourire entendu. Elle a fait une blague. En angliche. Hé hé. Elle est fortiche, en angliche.
Un cliquetis, et la porte s'ouvre. Samia entre en tirant son aspirateur par le tuyau. Elle ne la voit pas tout de suite. Les yeux au sol, les écouteurs aux oreilles, elle chantonne avec approximation de celle qui ne s'entend pas chanter.
- Zeouininideup adé Hotel California sateloliplaisse satelopliplaisse
Elle trouve ça sympa, le pantalon de jogging. Pour les jours où on n’en a vraiment rien à foutre de faire sa belle. Pour la sensation que ça procure, sur les cuisses et les fesses, le petit molleton à l’intérieur. Une tenue pour regarder des séries pour ados en trempant des chips dans un pot de sauce piquante.
Rien à voir avec le sport.
En arrivant au restaurant, elle a tout de suite senti l'arnaque. D'abord, ça devait être un dîner de filles. On le lui avait vendu comme ça. Un dîner de filles. Et quand elle est arrivée, comme une fleur, un peu à la bourre, mais pas plus que d'habitude, elle a pu constater, ô surprise, que non seulement tout le monde était là, mais que tout le monde était en surnombre.
Les putes.
Elles avaient amené leurs mecs.
Toutes.
Trois filles, trois mecs. Céline et Samy; Magaly et Jigé ; Aurélie et Patrick.
Mais ce n'était pas tout. Cerise sur le gâteau, elles avaient apporté un gonze en plus.
Il ne faut pas se défouler sur vos copines célibataires. D'abord, elles ne vous ont rien fait, et puis dites-vous bien que, aussi minables que soient vos vies, celles de vos copines célibataires sont plus minables encore.
Vous connaissez l'expression : " Vendre chérement sa peau " ?
Le jeune homme a un rictus fugace, puis il hoche la tête.
- Die hard ?
Julie acquiesce.
- Die hard, you're fucking right.
Elle aurait voulu que ce soit parfait. Elle aurait voulu être Bruce Willis. Elle aurait voulu, en donnant un coup de reins en arrière, ouvrir tout grand le battant de l'enclos, et semer le chaos et la désolation. Sauf qu'elle s'est gourée sur le sens de l'ouverture du portail, et que son élan lui rebondit douloureusement dans le bas du dos.