Payot - Marque Page - Matthieu Radenac - Il était six fois Hanaé
- Si tu ne vas pas jusqu'à la fin du livre, tu ne laisses pas à l'auteur la possibilité de te surprendre.
Je reste interloqué. Un auteur de littérature jeunesse. Alors, que suis-je, moi ? Un auteur de littérature vieillesse ? Quelle horreur ! Un écrivain n'est-il pas un écrivain tout court ? Que sont Daniel Defoe, Antoine de Saint-Exupéry, Jules Verne, Alexandre Dumas, Alphonse Daudet, Jules Renard, Michel Tournier ? Ne sont-ils pas tout simplement de grands écrivains ?
- Comment faites-vous pour finir vos livres?
- Il est toujours difficile de terminer un livre. Au fur et à mesure que l'on avance dans l'écriture, on sait que l'on s'achemine inexorablement vers la fin et que ce sera forcément un déchirement.
- Mais à quel moment savez-vous si la fin que vous avez choisie plaira aux lecteurs?
- Je termine un livre quand je pense avoir accompagné les personnages au plus loin et qu'il est donc temps, pour moi, de les abandonner. Quant à savoir si la fin choisie plaira à mes lecteurs, je ne me pose pas la question. C'est au lecteur de prendre le relais, d'en décider.
- Est-ce que ça vous arrive parfois de regretter une fin, d'avoir envie d'en changer?
- Ca se pourrait effectivement. C'est pour cela que j'évite de relire mes livres une fois qu'ils sont publiés.
Elle rit. Les élèves aussi. Mais, à la nuque de Maya, je sens qu'elle n'est pas satisfaite.
La preuve, voilà qu'elle lâche soudain, dans un souffle:
- Moi, je ne lis jamais les fins.
Silence. La jeune femme qui me fait face me semble ravie de l'échange.
Imperturbable, Maya poursuit:
- Je lis jusqu'au moment où je sens que je n'ai pas envie de savoir plus. UJe mets alors un marque-page à l'endroit où j'ai décidé de m'arrêter.
Quand je lis, je tisse des liens avec les personnages, je les apprécie, les déteste et des fois les aime. Et le fait de fermer le livre, l'histoire achevée, est un déchirement.
C'est une calamité, tous ces orphelins de la lecture qui courent les rues.
Il disait que les livres ont le pouvoir de faire tomber le lecteur amoureux.
- Pourquoi dites-vous que la lecture commence les yeux fermés ?
- Parce qu'elle s'invente, s'imagine, se crée derrière le paravent de nos yeux fermés.
La vraie lecture commence quand on ne lit plus seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver.
Il y a une part qu'il faut laisser à ses lecteurs pour qu'ils imaginent ce qu'ils veulent.
Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux