Maïa Dugaire

Soyez attentif à ce que je vais vous annoncer parce que je ne me répéterai pas.
Votre vie est aujourd'hui en jeu, il ne tient qu'à vous de la préserver. Les règles de cette expérience sont simples : vous ne sortirez que si vous parvenez à coopérer.
La liberté vous attend au lendemain de votre victoire.
Et la mort de l'humanité au lendemain de votre échec.
Ne cherchez pas à fuir : vous risqueriez de vous égarer dans des contrées inconnues où vos plus grands cauchemars prendraient vie.
Une seule âme, à la hauteur de son courage, s'est vu confier la clé de votre réussite.
Quiconque cherchera à trouver son identité se verra automatiquement tuer.
Trente mois vous sont offerts pour faire vos preuves. La première expérience est la suivante : instaurez une communauté en tentant de ne pas vous entretuer.
Tenez-vous prêts.
Le compte à rebours est lancé.

Je lui parle de Marseille, de ma famille - lorsqu'elle était encore complète, auprès de moi - des couchers de soleil sur la plage et de mes études en psychologie. Je lui parle de toutes ces petites choses qui ont un jour fait de moi l'enfant la plus heureuse du monde, en taisant la tragédie qui a suivi. Si Logan sent que j'omet une partie cruciale de mon histoire, il reste pourtant silencieux en attendant que je finisse tranquillement de me plonger dans mes souvenirs.
Il m'explique que s'engager dans l'armée lui est apparu comme une évidence pour provoquer ses parents avec qui il nourrit des relations complexes, et pour se prouver qu'il était capable d'aller au bout du projet le plus éprouvant qu'il puisse se donner. Etonnamment, il s'est beaucoup plu dans ce cadre strict où la discipline lui a permis de mieux canaliser ses émotions négatives qui lui ont toujours donné du fil à retordre. Le plus dur, c'était d'être loin de Tiff et de sa grand-mère. C'est la première fois qu'il m'en parle, mais ses mots volent avec tellement d'amour que je comprends à quel point cette femme est importante dans la vie du jeune homme. J'accueille ses confidences comme un précieux cadeau, que je me fais la promesse de ne jamais négliger. Margot serait tellement fière si elle me voyait, ce soir. Je suis en train de triompher de mes démons, je crois, et d'accepter que ma vie ne soit pas éternellement définie par ce crime pour lequel j'ai déjà été tant punie. Elle serait fière que sa petite sœur grandisse, et qu'elle accueille ce bonheur qu'elle s'est si longtemps refusée.

- Parle-moi de la Nouvelle-Zélande.

- La Nouvelle-Zélande, c'est le plus beau pays du monde. Je suis né là-bas, à Auckland, mais j'ai grandi dans une petite ville qui borde le lac Matheson. Cet endroit est... magique. L'eau y est d'un bleu magnifique, et au loin, les montagnes viennent s'y refléter. C'est comme si on pouvait systématiquement garder les pieds sur terre en s'octroyant le droit de rêver. De manière générale, ce pays est incroyable. Les plages y sont si grandes, si belles. Elles ne débordent pas de touristes, et c'est ce qui me plaît tant. La nature est partout, et il me semble que l'être humain est parvenu à la préserver. Beaucoup l'ignorent, mais la Nouvelle-Zélande est divisée en deux îles principales. Les grandes villes se trouvent, pour la plupart, au Nord ; le Sud est plus sauvage, la nature y vit librement. C'est l'île que je préfère. La lune y brille avec une telle intensité, les étoiles sont toujours magnifiques. Il est y si facile d'y faire du camping, ou juste d'aller se promener dans la forêt, près d'un lac, ou à la mer. La Nouvelle-Zélande, c'est le paradis.

Je ne me suis jamais vraiment interrogée sur les raisons me poussant à croire que Logan est comme moi, au fond : un être humain meurtri par un passé qu'il tente d'oublier. Cela m'a toujours semblé évident. En revanche, je sais que notre douleur ne provient pas du même endroit parce que nos caractères sont si différents. Je me dissimule derrière ma gentillesse et mes sourires pour tenter de me défaire de la culpabilité qui m'étouffe. Je tente de me persuader que si, ce jour n'avait jamais eu lieu, j'aurais été quelqu'un de bien.
Logan, c'est différent. Il interagit avec les autres en se cachant derrière une forme de violence qui doit lui être bien plus insupportable qu'à nous. Que dissimule t-il derrière ses regards noirs, son cynisme légendaire et en même temps, son besoin de protéger les autres des malheurs de la vie ? Logan n'est pas un prédateur. Mais je crois qu'il a un jour été brisé par l'un d'entre eux. Cela expliquerait que son envie de solitude se dispute autant on besoin de côtoyer les autres. Il a peur, je crois, que quelqu'un vienne lui faire du mal.

- Cinq choses que tu peux voir.
[...]
Le soleil aveuglant. Un nuage en forme de cheval. Les fleurs pleines de couleurs qui s'ouvrent à la vie. Mes deux amis près de moi. Les oiseaux rebelles virevoltant dans les cieux.
- Quatre choses que tu entends.
La voix réconfortante d'Aaron. Le son étouffé des sanglots que je peine à retenir. Les murmures apaisants de Tiff. Le tumulte du vent venu affronter les feuilles des arbres.
- Trois choses que tu sens.
L'odeur de l'homme qui me serre fort contre lui. L'odeur de mon ami. L'odeur d'Aaron.
[...]
- Deux choses que tu peux goûter.
L'amertume de mon passé... exprimée par mes larmes glissant sur mes lèvres entrouvertes.
- Une chose que tu peux toucher ?
La promesse d'un lendemain meilleur, maintenant que tu es là pour embellir ma vie, Aaron.

J'ai compris depuis plusieurs semaines que le comportement détaché de Logan ne servait qu'à préserver des apparences. Il refuse que les autres voient qui il est réellement : quelqu'un d'attentionné et dévoué. Cela se voit à la manière dont il aide Héloïse quand elle ne parvient pas à réaliser ses enchaînements, ou la vitesse à laquelle il intervient quand Kaïto a besoin d'être consolé. À tout ce qu'il rêverait de faire subir à Itzan si ce dernier osait ne serait-ce qu'insulter l'un des membres de son escouade. Ce masque, je le reconnais parce que j'arbore le même en permanence. [...]
Alors, qu'as-tu fait, Logan, pour accepter de renoncer à qui tu es ?
Deux âmes en peine réunies au beau milieu de la nuit pour s'apporter un réconfort éphémère, voilà ce que nous représentons.

- Comme tu le sais, je fais des.. cauchemars. Toutes les nuits, depuis un bout de temps. Depuis l'attaque d'Itzan en réalité. Je ne m'en étais pas rendue compte au début, mais Tiff, Héloïse et Sasha ont fini par me le faire remarquer. Du moins, je l'ai compris quand elles ont commencé à se précipiter à mon chevet pour me réveiller alors que je...
Oui. Je me débattais et murmurais des propos inintelligibles. Bref, c'était l'horreur. Je m'en voulais de leur infliger ça, alors j'ai fini par venir trouver refuge ici. J'attends qu'elles s'endorment pour quitter notre chambre, et y retourne avant qu'elles ne se réveillent.

15 novembre 2105

Elle l'a senti, elle aussi, non ? Ce lien... qui nous unit ? Notre relation n'a jamais été parfaite, mais en ce qui me concerne, elle a toujours été meilleurs que celles entretenues avec les gens qui côtoient ma vie. Tout, absolument tout, est attirant chez cette fille. Son esprit éclairé, sa force de caractère, l'aura mystérieuse qui l'entoure, sa répartie également. Elle me tient tête sans crainte, sans peur de m'affronter. Elle est honnête, mais toujours si douce, déterminée et pourtant si inquiète. Et que dire de ses yeux ? Je crois que le vert est devenu ma nouvelle couleur préférée.

Après une hésitation, il reprend ses douces caresses sur mon visage et je le laisse faire. Sa présence... son toucher me rassure. Il ne me déteste pas. Il sait ce qu'il s'est passé, il a vu de ses propres yeux le corps meurtri d'Ilyès.
Et pourtant, il est toujours là.
[...]
Je me rapproche de lui sans hésitation quand il m'invite à le rejoindre en ouvrant ses bras. Je laisse reposer ma tête dans son cou brûlant alors qu'il m'enlace fortement. Mes yeux se ferment finalement quand il embrasse tendrement ma tempe, puis mon front.
- Merci Logan. Merci pour tout.

Je vais être franc, je n'en ai aucune idée. Ce n'était pas... prévu. Je suis solitaire et je l'ai toujours été. Mais tu... tu m'intrigues, Al. Ta gentillesse, ta volonté, tout ça me pousse à t'accorder un petit peu de ma confiance... parce que j'espère que tu m'accorderas la tienne.
- Tu l'as déjà.
[...]
- Ma confiance. Tu l'as déjà. Elle n'est pas parfaite, parce que je suis comme toi, Logan. J'ai besoin de me protéger de certaines choses dont je ne peux pas parler avec toi. La vérité m'effraie, alors je préfère la taire.