Habituellement la vérité est hors du livre et le mensonge dans le livre, ici c’est l’inverse : la vérité est dans le livre et le mensonge hors du livre, il ne faut pas croire ce que dira l’auteur sur son livre, il ne faut pas le croire, car la vérité est dans le livre ; ce n’est pas une vérité référentielle, ce n’est pas une vérité sur la coïncidence entre la littérature et la vie, sur la coïncidence entre l’histoire vécue et l’histoire racontée, il ne faut pas compter là-dessus, il faut compter pour raconter, il faut compter jusqu’à soi pour enfin dire «je», peut-être, quelque part vers la fin, peut-être, on verra rendu là, mais il ne faut pas compter là-dessus, sur la coïncidence entre la littérature et la vie, la vérité n’est pas là, la vérité est ailleurs.
On sait que le pronom « on » s’accorde à la troisième personne du singulier, pourtant on n’en démord pas, on a l’impression d’être plusieurs là-dedans , on a l’impression d’être pluriel : l’adulte et l’enfant, la voix et la main, celui qui pense et celui qui pousse le pousse-mine, le personnage et l’auteur, le vrai et le faux, on est plusieurs là-dedans, on est plusieurs à vouloir tenir dans un mot.
Il ne comprends pas la pauvreté, alors qu’il en vient, de la pauvreté, alors que sa préhistoire en est une, de pauvreté, on donne son enfant en adoption quand on est trop pauvre, c’est ce qu’il se dit, mais à quoi ça rime, être pauvre, quand les guichets automatiques donnent de l’argent, à quoi ça rime, être pauvre, quand le père Noël fabrique les cadeaux aux enfants gentils, est-ce que les pauvres sont méchants ?
… « pauvre enfant, il cherche son nom », qu’elle se dit, sa famille, il cherche son nom mais il ne le trouve pas, il ne le trouvera jamais, il va passer sa vie à tourner les pages, il va passer sa vie à changer de peau, peut-être qu’il cherche son autre nom, le nom porté durant les cinq premiers jours, le nom de sa préhistoire, son nom zéro, le nom donné par son autre mère pas-la-sienne ?
(pp.13-14)
En 2012, son rapport à l’argent est tellement exacerbé qu’on pourrait raconter toutes sortes de choses, on ne sait pas par où commencer, les souvenirs ne sont pas assez loin, on n’arrive pas à se faire une idée d’ensemble, on a le nez collé sur 2012, comme Narcisse sur son reflet, Narcisse qui plonge en lui et meurt à vouloir ne faire qu’une image de deux images, il faut mettre des mots entre soi et soi pour ne pas sombrer, il faut des mots, il faut un pousse-mine, il faut ériger un écran entre soi et soi, il faut reculer un peu : c’est en reculant qu’on aperçoit les contours d’une scène, quand on est dans la scène on ne voit pas bien, quand on dit « je » on se trompe à tout coup, on est trop proche, c’est en reculant qu’on arrive à voir son reflet, le nez dans le miroir on ne voit rien du tout, il faut reculer, il faut reculer dans l’espace et dans le temps, c’est en reculant qu’on voit mieux, c’est pour ça qu’on voit mieux le passé que le présent.
(p.212)
Les enfants naissent dans les choux, on peut acheter des choux à l'épicerie, on peut acheter des enfants.
(p.21)