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Les différents âges de la femme se présentent et s'enfoncent dans la vapeur. Leurs corps s'évanouissent peu à peu. Des corps qui ont donné la vie, subi le bistouri, trimé des décennies derrière leur machine à coudre, planté et déplanté des potagers, émigré, puis sont revenus, qui ont encaissé les coups puis l'abandon de leur mari et de leurs enfants, épuisés, immobiles sur des lits étriqués avec pour seule compagnie le vacillement du téléviseur dans le coin de la pièce et les souvenirs d'amours anciennes. Sous le verre crasseux du dôme, avec ce goutte-à-goutte incessant, ces réminiscences glougloutantes, ce savoir que renferme le corps se propageait par vaguelettes à travers chacune de nous, comme si nous ne formions qu'un seul et unique organisme. Plic, plic, plic. Dans le bassin des dames, nous sommes jeunes et vieilles à la fois.
Ma grand-tante, sa voisine, avait un jardin vivrier sous la vigne ombrageant sa cour, ainsi que des poulets et des chèvres dans sa grange. Ah, le frisson matinal de dénicher des oeufs bien cachés, l'odeur de la grange et des roses ! Chez elle, il y avait une pièce où l'on stockait et transformait la nourriture. Des bocaux de yaourt fermentaient pendant la nuit, emballés dans du papier journal, du fromage frais s'égouttait dans des torchons, des cagettes de pomme reposaient en prévision de l'hiver, du sirop de sureau pétillait en bouteille, et des rayons de miel dégoulinaient sur des plateaux. Elle était toujours affairée près d'une casserole bouillonnante ou d'un plan de travail où elle étalait la pâte, montait la mayonnaise avec des oeufs chauds et épluchait des légumes encore terreux pour les rôtir au four. Nous la regardions, subjugués, métamorphoser les machins peu ragoutants arrachés au sol en autre chose, telle une laborantine. Et les mixtures devaient sans cesse être goûtées, bien sûr. Puis venait la préparation des conserves, en début d'automne, un rite saisonnier lors duquel elle trônait, majestueuse, sur une chaise grinçante près d'un chaudron, à faire bouillir les bocaux pleins de bonnes choses avant de les fermer hermétiquement. Elle était comptable en semaine, gardienne des trésors de la terre le week-end. Nourrir était son talent, et bien qu'elle n'ait pas eu d'enfants, elle était une vraie mère pour nous tous.
Ainsi naquit mon enchantement pour la terre comestible.
Les fibres organiques s'entremêlaient avec les paillettes industrielles. Des tabliers en laine peints par des aïeules avec des pigments de mousse se superposaient avec des tissus colorés à la teinture chimique achetés 2 dollars dans un bazar. Leurs visages étaient ceux de couturières. Des femmes qui avaient rapiécé les vies qu'on leur avait volées, un fragment après l'autre.
Et à présent elles cousaient en plus les vêtements de tout le monde, ici même aux Bouleaux, afin que le reste du continent puisse les acheter le samedi - jour de labeur pour la couturière - dans les rues branchées des grandes villes, ornés d'étiquettes destinées à justifier leur prix exorbitant, enveloppés dans du papier de soie, puis déposés dans des sacs ornés de lettres dorées en relief que les acheteurs rapportaient à la maison tels des chasseurs-cueilleurs fous ayant oublié depuis belle lurette l'art de la chasse et de la cueillette et ne sachant plus que consommer.
Chaque fois que je vois une étiquette de vêtement "Fabriqué en UE", le visage d'une femme des Bouleaux m'apparaît.
Nous avons perdu deux choses essentielles à notre bien-être : le silence et l'obscurité. Nos systèmes nerveux sont pollués par le bruit et les lumières électriques. Les mieux lotis pratiquent la "thérapie en chambre noire" et les retraites silencieuses. Il faut désormais acheter le silence et l'obscurité car le monde civilisé ne les procure pas gratuitement. Il nous apprend à avoir peur du noir et du silence. Et pour compenser notre peur, il nous divertit à coup de bruit et de lumière. Le bruit et la lumière viennent combler le vide laissé par le sens et la puissance perdus. Ce sont les idoles qui remplacent le sacré. Nous sommes prisonniers de notre civilisation, torturés par les stimuli, incapables de nous reposer.
Ayshe and her sisters didn’t speak Turkish. They only found out they were ‘Turks’ when the police knocked on their door –impossible not to think of yellow stars. The exodus of three hundred and forty thousand people with families, futures, and sometimes bodies broken by their own State was the largest movement of people in Europe since World War II. And it happened in peacetime.
Ayshe et ses sœurs ne parlaient pas turc. Elles apprirent qu'elles étaient turques quand la police frappa à leur porte- comment ne pas penser aux étoiles jaunes. L'exode de 340000 personnes avec familles, futures et même les corps brisés par leur propre État a été le plus grand mouvement d'expulsion en Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et cela arriva en temps de paix.
*340000 turcs vivant depuis des siècles en Bulgarie furent expulsés de force par le gouvernement bulgare, suite à la chute du communisme et le peu qu'ils possédaient ne leur fut pas permis d'emporter avec.
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Le soleil couchant illuminait le mur du Pirin. L'air était si doux que j'aurais pu le boire, comme une potion. Un après-midi, l'air se troubla et revêtit une teinte sépia, la montagne se fit plus lointaine, et l'atmosphère poignante, comme si nous avions été parachutés dans le passé sans préambule.
Nous quittions la maison de bon matin, sacs en bandoulière, et passions la journée à glaner des orties, dont elle se frottait ensuite les doigts pour soulager son arthrite, avant de les préparer en beignets. Nous mangions à même les branches les mûres et les griottes qui tachaient nos habits, nous récoltions des fleurs de tilleul et de sureau qui me faisaient éternuer, et elle s’asseyait pour tricoter des napperons informes, dans une forêt de pins, tandis que je ramassais les glands de la saison passée pour réaliser des figurines informes, à l'aide de colle. Chez elle, il y avait un lit où des herbes séchaient sur du papier journal, et elle était toujours en train de mâcher quelque chose tout juste sorti du sol.
Pour qui n'a pas coutume de dormir sans toit, l'expérience est renversante. Car, sous les astres, il n'existe aucune frontière entre le sommeil et la conscience. Je rêvais que j'ouvrais les yeux pour découvrir des millions d'étoiles. Jamais je n'vais vu tant d'étoiles, hormis un soir d'hiver dans l'archipel des Hébrides, sur l'île d'Uist. Je flottais, allongée, au-dessus de la vallée, effarée par ma piètre connaissance des étoiles, ma piètre connaissance de tout. Je suis incapable de saisir où je suis et ce que je suis par rapport aux astres. Ils m'appellent de leurs voix célestes, je me lève et m'appuie contre la balustrade en bois, le sureau me caresse le bras. En bas, dans la vallée, les lumières de la ville scintillent tels des vers luisants dans une grotte.
C'était une maison ordinaire et délabrée comme on en voit partout dans les villages, avec un muret en pierre bas, des sabots en plastique dans l'entrée et une vitre brisée remplacée par un pan de carton. Du jardin émanaient les murmures des roses et de ces petites pommes précoces qui vous emplissent la bouche d'amertume quand vous les croquez. De l'eau-de-vie de prune artisanale fermentait dans des cuves de 100 litres non loin du robinet extérieur. Les effluves boisées des tomates cœur de bœuf m'assaillirent dès le portail, à l'instant où je tendis la main pour l'ouvrir.
Tout se produit deux fois. Une fois en tant que fragment de vie et une seconde fois sous forme de souvenir...ou d'oubli.