Son rapport à la famille, au VIH SIDA, sa réussite personnelle, la plus belle remarque qu'on lui a faite sur son livre, découvrez l'entretien avec Anthony Passeron, dixième et dernier épisode de cette première saison Filature.
Anthony Passeron enseigne les lettres et l'histoire-géographie dans un lycée professionnel. Il est né à Nice en 1983, une région qui est au coeur de son premier roman, paru aux éditions Globe, dans lequel il revient sur l'histoire familiale et la figure de son oncle Désiré, mort prématurément du sida et dont le destin tragique a longtemps été occulté. Une véritable révélation littéraire.
Filature, la nouvelle série du Média de la Fête du Livre de Bron présente 10 podcasts où Florence Aubenas, Sébastien Joanniez, Victor Hussenot, Jeanne Macaigne, Corine Pelluchon, Michka Assayas, Kamel Benaouda, Seynabou Sonko, Philippe Jaenada, Anthony Passeron se laissent aller au fil des mots.
10 formats courts de 4 minutes à écouter sur le Média et les réseaux sociaux de la FdLB.
© Collectif Risette/Paul Bourdrel/Fête du Livre de Bron 2023
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Des fois, la vie te tombe dessus, comme une gifle, et tu en as le souffle coupé, tu crois que tu vas mourir sur place. Mais souviens-toi que ton coeur, lui, bat toujours. Il continue sa course.
Le bonheur en amour, c'est un oxymore. Il faut savoir donner et recevoir, apprendre à s'envoler tout en s'enracinant dans les profondeurs du sentiment, devenir léger tout en restant sérieux, complexe, et simple pourtant. Un véritable numéro d'équilibriste ! Trop subtil pour moi aussi.
J’ai entendu l’un de mes camarades maugréer :
- De toute façon, je sais que le mien ne sera pas terrible. Mon père plie le papier par la pensée et ma mère imite des chants d’oiseaux… Que des pouvoirs archinuls !
J’ai soupiré intérieurement. C’était toujours mieux que de ne rien avoir du tout. Son voisin, Rajeev, s’est vanté :
- Nous, au contraire, à la maison, on a des capacités vraiment cool, comme l’inflammabilité, la vitesse hors norme…
Il a assorti la révélation de sa formidable hérédité d’un coup d’œil circulaire, afin de s’assurer que chacun en avait bien pris la mesure. Puis m’avisant, il a fait remarquer :
- Et toi, Norman, on ne t’entend pas. Raconte-nous donc qui fait quoi chez toi !
Le jour du test est arrivé, et ça faisait déjà un moment que je le savais : je n’avais pas de super-pouvoir.
Lénard, mon père, d’ordinaire si pressé le matin, m’avait préparé un petit déjeuner gargantuesque : jus d’orange maison, pain grillé assorti d’un large choix de confitures, fruits, céréales, muffins, croissants. Pris en otage par cet excès d’attentions, je n’ai pas osé avouer qu’aujourd’hui, justement, j’aurais trouvé à la meilleure tartine du monde autant de saveur qu’une tranche de pneu.
– Eh bien, papa, il y a de quoi nourrir toute ma classe…
Mon père a souri modestement, prenant cette observation pour un compliment admiratif, et a lancé un coup d’œil complice vers ma mère. Elle terminait un café en hâte devant l’évier, et a répondu d’un regard assez éloquent. J’étais suffisamment anxieux, inutile d’en rajouter !
On m’a payée pour que je ponde un gosse pour l’armée. Je pouvais pas cracher dessus.
Il est pas humain ce gosse.
Je retenais ma respiration comme si le temps s'était figé.
-Eh bien jeune garçon, ton pouvoir s'est révélé, à-t-il enfin annoncé en complétant une fiche d'une écriture vive.
[...]
-Ah bon? Et qu'est-ce que c'est?
-Tu as une mémoire eidétique;
-Pardon?
-Cela veut dire que tu as une très bonne mémoire et que tu peux retenir pendant très longtemps tous les sons, images ou phrases que tu perçois...
Je crois que je commence à percevoir comment les humains, parfois, en dépit de toute raison, sont prêts à tout sacrifier, tout détruire, y compris eux-mêmes, pour vivre une expérience étrange, ineffable, incertaine et inconstante : l'amour. Ce que j'en ai compris : pas grand-chose, mais je le vois comme une sorte de gaz hallucinogène, qui déforme la réalité en l'enjolivant, et qui provoque chez celui qui l'inhale une forte addiction.
Bref, si j'avais la capacité de ressentir, c'est un sentiment dont je me méfierais.
Alors, soyez fiers de vous, et faites de votre mieux !
- Si j'ai bien compris, monsieur, on les appelle des "Altérés" parce qu'ils ont subi une modification génétique et hormonale, dans le but de ne plus ressentir les émotions comme nous. C'est bien ça ?
- Tout à fait, Dimitri.
- Donc, peut-on vraiment les considérer comme des êtres humains ? En biologie, on a appris que même les animaux étaient capables d'empathie.
On aime les histoires parce qu'elles sont belles, pas forcément parce qu'elles sont vraies