Jovanka Vuckovic

La comédie de zombies parue au cours de ces dernières années et dont le retentissement a été le plus grand est sans doute Orgueil et Préjugés et zombies de Jane Austen et Seth Grahame-Smith. Cet ouvrage, qui pour l'essentiel reprend le roman originel de Jane Austen émaillé de séquences de zombies insérées par Grahame-Smith, a ouvert une toute nouvelle boite de Pandore pas piquée des vers, avec cette forme parodique qui permet de faire des fortunes à partir des classiques tombés dans le domaine public. Alors qu'il n'est paru qu'en 2009, ce livre a déjà donné naissance à une bande dessinée, une préquelle parue en 2011 chez Casterman, et quantités d'objets et articles connexes tels que des cartes postales, de tee-shirts, des tasses, des reproductions sur toile, et des tapis de souris. Une foule d'imitateurs s'est engouffrée dans la brèche, ce qui nous vaut d'avoir Raisons et Sentiments et Monstres marins en 2009, Androïd Karenina (Androïde Karénine) en 2010, Mansfield Park and Mummies (Mansfield Park et Momies) en 2009, Jane Slayre en 2010, et tant d'autres encore., déjà publiés ou en préparation. Fondamentalement, ce principe du mash-up littéraire est une sorte de pistolet à un coup, et il y a fort à parier que l'engouement ne durera pas. Pour autant, l'original de Grahame-Smith constitue un exercice intéressant d'adaptation d'une oeuvre classique au goût contemporain, susceptible -pourquoi pas?- d'amener des adolescents à découvrir une autre littérature.

Cet épisode nous ramène au livre L'île magique de William Seabrook, publié au plus fort de la domination américaine sur Haïti. Immense succès, cet ouvrage s'appuie sur la conviction des Américains que l'île d'Haïti n'est qu'une nation de sauvages cannibales pour donner une présentation à grand spectacle du vaudou, assortie d'une explication approximative de l'existence des zombies, le tout teinté de rituels néfastes et possiblement sataniques. D'autres livres à l'authenticité douteuse, tels que Black Bagdad: The Arabian Nights Adventures of a Marine Captain in Haïti (littéralement La Bagdad noire- les nuits arabes aventureuses d'un capitaine de la marine en Haïti) et Cannibal Cousins (Les Cousins cannibales), parus respectivement en 1933 et 1934, dressèrent eux aussi un tableau exagéré de rituels sauvages, de breuvages démoniaques et de résurrections. Avant même que quiconque puisse en prendre la mesure, le zombie s'était officiellement frayé un chemin au coeur de la psyché américaine.

A une autre extrémité du spectre qualitatif, on trouve l'envoûtant I Walked with a Zombie (Vaudou), un film de 1943 de la RKO réalisé par Jacques Tourneur, qui avait déjà signé Cat People (La Féline). Val Lewton dirigeait la division "horreur" de la RKO à cette époque, alors que c'était un genre qu'il détestait. Cependant, bien déterminé à dégager des bénéfices pour le studio mal en point et à créer un film d'horreur véritablement haletant, il embauche Tourneur pour réaliser ce qu'il concevait comme une version revisitée aux Antilles de Jane Eyre, assortie d'un titre de nature à attirer les fans d'horreur. le résultat est un mélodrame lent, admirable er raffiné, sombre et poétique, et magnifiquement filmé (...) le spectateur est laissé avec bien plus de questions que de réponses.

Les zombies ne sont qu'un catalyseur et un prétexte à faire naître les conflits ", brouillant les frontières entre " eux " et " nous ", l'" ordinaire " et le " monstrueux ".