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Payot - Marque Page - Isabelle Hausser - Les couleurs du Sultan.
" Je crois que je ne reviendrai jamais dans cette Europe, et tout ce que j’y possède, mes livres, et surtout mon "Balzac" (préparé et rédigé aux trois quarts) est perdu..."
Lettre de Stefan Zweig du 9 novembre 1940 à Friderike, sa 1ère épouse.
(page 163).
"N'oubliez pas ce que dit Bach: ce qui procède de l'amour et du tourment ,Dieu ne peut l'effacer.Nous sommes condamnés à le supporter et ,parfois, à en mourir.
Tu as eu de la chance d'avoir eu une fille de ce calibre. Ne te désespère pas de ses cachotteries. Vis avec l'idée que ta fille était une femme extraordinaire. On peut, hélas, vous enlever vos enfants. Mais personne ne peut vous arracher vos idées et vos souvenirs. Ne gâche pas votre tendresse mutuelle par des regrets ou des pensées mesquines. Tu es au-dessus de cela et ta fille le savait.
Refusant d’admettre que nous sommes en représentation, au point de nous abuser nous- mêmes, il nous est difficile de démasquer les autres, lorsqu’ils se révèlent excellents acteurs.
C’est très exactement ce qui s’est passé pour Mansour. Au
point que je ne sais plus qui était le véritable Mansour : le gentil garçon, un peu maladroit, voire complexé, des débuts ou l’homme inflexible et cruel des derniers temps. À moins qu’il n’ait été dès le début pareil au caméléon, changeant de couleur au gré des circonstances avec une stupéfiante aisance ; ou qu’il n’ait eu en lui une double personnalité ayant, jusque- là, échappé à tout le monde, qu’explique peut- être le secret de sa naissance.
Perdre un enfant appartient à l'innommable. Car ce qui est inacceptable ne saurait être désigné : ce serait commencer à l'admettre.
Son état de quasi-somnanbulisme, dont, attentive, elle surprenait également des traces chez ses familiers, s'expliquait sans doute par l'instinct de survie. Aurait-elle supporté les malheurs, les contrariétés de sa vie et la longue éducation de ses quatre enfants, étirée sur plus de trente ans, sans cet engourdissement des sens et de l'esprit ? Métamorphosée en rêve, fut-ce en cauchemar, la vie devenait plus légère. Les pertes de mémoire, les transformations et les révisions du passé procédaient peut-être du vieillissement.
Tout finit trop vite ! Pourquoi ne veut-on pas le croire ?
Disparus les petits pas trottinant sur le plancher, les cauchemars angoissant, les rires cristallins, les câlins, les caprices et les malices. Terminés les bouderies, les chantages et les comédies. On se croyait à l'orée d'un univers illimité.
Je n'avais ni tes dons, ni ton énergie. Tu t'es révoltée contre le sort, contre tes parents, contre la mort de ton mari. Rien ne t'abattait. Un coup t'envoyait au tapis? Tu revenais sur le ring sans t'avouer vaincue.
Ce n'est pas simple quand on a déjà une vie derrière soi de tout recommencer. Aussi dur que de déchiffrer une partition inconnue. Il y faut de la volonté, de la patience et de la curiosité. Il faut en saisir les intonations cachées et la musique intérieure qu'on n'entend jamais du premier coup, ne pas s'arrêter aux dissonances, penser au contraire qu'elles éclairent la mélodie principale. Oui, c'est un travail de longue haleine, rien à voir avec une aventure frivole. Il faut s’y appliquer jour après jour. Je crois à cette oeuvre, à cette musique, je saurais jouer ma partition parce que J’aime la vôtre, tout en rigueur pour masquer ses tendres beautés secrètes.
Je suis né dans une famille parvenue au sommet de l'échelle sociale parce que mon père avait été le compagnon loyal de l'ancien Sultan, au temps où celui-ci n'avait pour seul titre de gloire que son ambition de jeune officier, et qu'il avait eu le flair de parier sur l'avenir politique de son frère d'armes. Mon père admirait l'intelligence politique, presque animale, du vieux Sultan. Il voyait en lui un homme providentiel, capable de sortir notre pays du marécage dans lequel, peu à peu, il s'engloutissait.
C'est pourquoi il l'aida à fomenter le coup d'état qui amena le vieux Sultan au pouvoir et propulsa mon père au sommet de la hiérarchie militaire. il ignorait - comme le reste des comploteurs, à commencer peut-être en ce temps là, par le Sultan lui même - qu'il avait prêté la main à l'installation d'une nouvelle dynastie.