Parcours d'Étoile : Hugo Marchand
Mon envie en tant que danseur étoile, c'est avant tout d'ouvrir la danse à un public qui d'habitude n'irait pas à l'opéra mais aussi de rendre accessible et faire rayonner cet art qui met tant de sens dans ma vie.
Si une seule personne trouve en parcourant ce livre des clefs pour continuer à s'accrocher à ses rêves avec plus de sérénité, alors mon objectif sera rempli.
La danse ne se réduit pas à la maîtrise de son corps, d'une technique, de l'effort physique. Cette forme de dépassement de soi ne doit pas se percevoir sur scène. Ce que le public vient chercher et retient c'est l'histoire, la présence, le charisme, la lumière, les émotions que mon personnage transmet, distille.
Contrairement à certaines formes d'art comme la peinture ou la musique, en danse il n'y a ni toile ni partition. Le support corrigé est notre propre chair. Au point zéro de notre apprentissage, la critique peut foudroyer jusqu'à la moelle. C'est une vexation, une déstabilisation permanente ressentie de façon plus aiguë encore à l'adolescence. Sur un corps en plein bouleversement hormonal, en mutation, une discipline qui muselle la rébellion, la correction perpétuelle, cette notion du "jamais assez bien" est une rature sur le cœur, une biffure infligée à même la peau, une brûlure vive à l'égo. (p78)
Nous avons embrassé la danse, elle s'est muée en nous comme il en est des gestations. Elle s'est métamorphosée, jusqu'à se matérialiser en nous tels le coeur, les poumons, les reins, en un organe aussi vital pour certains.
Si tu ne vas pas vers l'autre, vers les autres, tu restes seul. Tu creuses ton propre fossé.
Cette émotion est marquée en moi au fer. Une émotion d'une telle violence, d'une telle force que je ne saurais la revivre. J'ai hurlé. Couiné. Derrière mes verres fumés, énormément pleuré. Le monde autour de moi a vacillé, disparu, s'est dépeuplé.
En très peu de temps, elle me fait saisir ce qu'elle veut et parvenir à hurler par des gestes les courants contraires qui me traversent. Pas une seule fois je ne ressens le jugement dans son regard ni la perception de ne pas être à la hauteur.
Cette année grave en moi les premières douleurs physiques et ma rencontre avec le miroir. Avec ce satané miroir, nous allons devoir nous entendre. Je ne suis pas Narcisse. Mon reflet m'attriste. Il n'a rien de cet idéal que je recherche, que j'aimerais. Je le prends en grippe. Tous les jours, devant la glace avec d'autres garçons plus jeunes, plus fins et d'ossature plus légère que moi, je me compare. Je ne suis pas assez beau physiquement, trop gros. Avant de rejoindre l'école, au conservatoire de danse de Nantes, je n'avais pas ces points de constante comparaison. J'étais souvent seul au milieu des filles. (p33)
Dans le regret de ne pouvoir gommer l'appréhension qu'elle a de remonter sur scène pour la première fois après son congé maternité. J'en ai conscience, mais je ne le ressens pas aussi profondément que je le devrais. Donner la vie pour une danseuse c'est mettre sa carrière entre parenthèses pour une saison complète. Ce don de soi m'échappe, la violence du retour au-devant de la scène dépasse mon entendement. Je n'ai que 20 ans, je ne suis qu'un garçon, je manque de maturité pour mesurer ce que le corps de ma partenaire vient d'endurer comme les batailles de son mental. (p104)
Quand le rideau tombe, j'ai envie de redescendre doucement, de partager ce moment au milieu des danseurs avec lesquels j'ai vécu le ballet.