Christian Dedet sur les pas d'Alexandre Vialatte
J'ai tiré à dix pas. L'éléphant n'est pas tombé mais, en tournant sur lui-même, il a poussé un barrissement d'une violence inouïe. Ah! ce barrissement!... Jamais aucun hurlement, en forêt, ne m'avait pareillement secoué. C'était de la douleur, bien sûr, mais un cri d'innocence surprise et, plus encore, un chant de guerre à vous glacer le cœur.
j'ai cru voir converger vers moi les quarante pythons qui, pour quelques instants encore, dormaient au-dessus de ma tête comme les festons d'un deuil monstrueux. Avalé par le premier, j'aurais eu la piètre consolation que le suivant, plus gros, bouffe à son tour mon agresseur. Les pythons n'ont-ils pas pour habitude, lorsque le gibier se fait rare, de s'avaler les uns les autres selon une hiérarchie qui tient autant à leur diamètre qu'à leur voracité?
J'ai connu une personne , aujourd'hui adjointe au maire de Port Gentil, qui a été avalée à l'âge de treize ans par un python.
Un serpent affamé l'avait suivie dans un village de brousse alors qu'elle se rendait aux latrines. Aussitôt assommée. Car l'agression par laquelle un python neutralise sa victime est un véritable coup de boutoir.
La chance de la gosse a été que le python, trop pressé, au lieu de l'avaler par la tête, commence par les jambes. Chance supplémentaire : la petite était tombée avec les jambes écartées. Le serpent a donc dégluti un pied, une jambe, mais il s'est trouvé bloqué par l'entrejambe et il n'a pu aller plus loin.
Se réveillant à son évanouissement, la fillette se met à hurler. Les parents, les voisins accourent. Et le serpent inexpérimenté - ou fou de boulimie - a été tué. Il ne pouvait ni régurgiter ni repartir. Il était lui même prisonnier de sa prisonnière.
Ici, la séparation est absolue, il n’y aura pas de retour. Forçat... Étais-je « tombé si bas » ? Étais-je promis à cette pourriture dès l’instant où le regard d’Andrée avait croisée le mien sur les allées de Meilhan ? Ils l’ont dit - ce fut même le cheval de bataille du triste Siame. Le vice m’avait pris par la main pour me conduire au crime ! Et la preuve qu’ils ont réussi à me rendre coupable, c’est que l’autre jour à Saint-Charles, en arrivant sur le quai éloigné, semi-clandestin où avait lieu notre embarquement, j’ai été soulagé de voir qu’inavouable et la viande criminelle qu’on chargeait se trouvaient des misérables certes, et même d’authentiques monstres, mais aussi trois bougres à face humaine et un gamin complètement perdu. C’est alors que j’ai découvert ce que tout être injustement condamné rumine : le désir de vengeance ! Gratitude pour les rares compassions entrevues tout au long du calvaire mais, avant tout, vengeance. Une vengeance que je me sens capable, maintenant, d’imaginer avec une précision froide et maniaque...
J'ai tiré à dix pas. L'éléphant n'est pas tombé mais, en tournant sur lui-même, il a poussé un barrissement d'une violence inouïe. Ah! ce barrissement!... Jamais aucun hurlement, en forêt, ne m'avait pareillement secoué. C'était de la douleur, bien sûr, mais un cri d'innocence surprise et, plus encore, un chant de guerre à vous glacer le cœur.
Il est certain qu’il venait d’être mordu par un serpent.
...
Sur le moment, il n’a aucun vaccin, pas même d’eau de Javel. Il s’ouvre alors le mollet, il vide le contenu d’une cartouche dans la plaie et il y met le feu. Ce traitement un peu spécial devait lui valoir la vie sauve mais lui laisser une plaie torpide.
-A qui ai-je l'honneur de parler? A l'explorateur, au forestier, au capitaine du Loire, au tueur de crocos ? A moins que ce ne soit à l'Aventurier tout court?
-Oh, l'Aventurier !... Je suis un homme qui n'est pas parti très gâté. J'ignore s'il existe un club de l'Aventure, maintenant. Ce qui est sûr, c'est que tous ceux que j'ai connus et qui, de près ou de loin, ressemblaient à ce qu'on a coutume d'appeler des « aventuriers » n'avaient pas choisi leur sort. La vie avait choisi pour eux. lls ne pouvaient s'en sortir qu'en avançant. Leur devise? Il m'a toujours semblé ce devait être « foutu pour foutu...»
On imagine le plus souvent que la vie en Afrique est calme, qu'elle est placée sous le signe de l'immobilité. Il n'en n'est rien. Depuis ma naissance et jusqu'à cette ultime remontée du fleuve, j'ai vu mes parents se déplacer sans cesse, chercher fébrilement une paix qui ne se trouve nulle part.
- Les femmes que je t'ai données ne te plaisent pas ? Veux-tu les changer ?
- Si, elles me plaisent. Je m'entends très bien avec elles. Simplement, ma vie est comme ça, j'ai beaucoup de soucis...
Le chef voulait bien admettre. Il avait l'air de se dire, néanmoins, que je tenais moins du Noir que du Blanc car le Blanc, c'est bien connu, pense beaucoup trop.
- À quoi bon élever des poules ? Avec une volaille, je mange pendant deux jours ; au contraire, si je l'utilise pour appâter, je prends un python et j'en ai pour trois semaines.
- Bien sûr, répond mon père, le python en sauce, avec des câpres... J'ai connu ça. (p.59)