— Ça va ?
— Vuiiiiiiiiii.
— Ça n’a pas l’air... Tu le dis si tu ne veux pas. J’ai pensé bien faire, mais si...
— Non, non. Tout va trèsssss bien.
Tu mens comme une vieille qui veut cacher son dentier en disant que ce sont ses dents naturellement parfaitement alignées.
Ta gueule.
Pourquoi tu mens, d’ailleurs ?
Aucune idée.
Je l’ai dans la peau depuis le premier jour. Je le déteste autant que je peux l’apprécier et cette contradiction sentimentale me terrifie. C’est comme si en une minute, je pouvais aussi bien le perdre que le faire jouir. Notre relation est instable au possible, et ne peut sans doute même pas être considérée comme une véritable relation. Je lui mens. Il m’a menti. Je le désire. Il me désire. Il a fait remonter en moi mes pires émotions, ce jour-là de décembre. Et pourtant, portée par le désir de mes lèvres sur les siennes, je l’embrasse sans me poser davantage de questions
— Excusez-moi ?!
Elle sourit davantage, pose délicatement sa main de mamie sur mon avant-bras et murmure :
— Est-ce que votre amoureux est mort ?
Ben merde.
— Non...
— À la bonne heure ! Alors, tu attends quoi pour le retrouver, lui rouler une pelle et couler des jours heureux ? D’avoir mon âge ?!
Qu'auraient dit nos ancêtres s'ils avaient appris que notre avenir allait devenir si misérable ? Sans doute rien, cependant j'aurais vraiment aimé qu'ils sachent, qu'ils se rendent compte de l'inéluctable chemin qu'ils empruntaient et qu'ils puissent faire demi-tour sur la route de l'horreur...
J'ai réfléchi et envisagé ce geste à de si nombreuses reprises, refusant pourtant si longtemps de céder à mes pulsions de mort. Les sirènes m'appellent à les retrouver. Elles sont de plus en plus fortes. Je ne lutte plus. Incapable de résister à leur appel si intense.
Abandonne Léna. Tu ne mérites pas de vivre, mais tu mérites de retrouver la paix. Ce ne sera pas douloureux. La mort n'est pas douloureuse comparée à la vie.
C'est ce qu'elles chantent depuis des mois. Et pour la toute première fois, je reprends le refrain avec elles.
Cette tempête qui m'anime depuis si longtemps va cesser. A jamais.
Je m'appelle Léna, j'ai quatorze ans et je vais me tuer pour avoir voulu vivre comme tout le monde.
Elle est mon pansement. Un pansement ? Non. Un médicament. Amer, acide, ou encore imbuvable... mais efficace. Elle est mon oxygène, ma thérapie, mon précipice et mon... avenir.
Car la vérité aussi affreuse qu’une vasectomie sans anesthésie est la suivante : mon cœur s’est emballé à la minute où il est monté dans l’ascenseur, ce matin de décembre.
Mais ce n’est pas rien, je brûle de désir pour ce type et ce n’est absolument pas dû à l’alcool. Je me consume de dedans. J’ai le feu sacré, les neurones au bord de l’implosion, les ovaires qui libèrent trois ovules chacun à la seconde. Oui, tout mon corps appelle à me reproduire avec lui. C’est bien simple, je pourrais aussi bien mettre une couche pour masquer ce désir. Si j’avais une érection masculine, j’aurais fait un trou dans mon pantalon.
— Née pour mourir, j’aide la Cité à prospérer. Née pour mourir, je suis fière de ce grand projet. Sans moi, la Cité s’éteindrait et l’humanité également. Par ma force et de corps et d’esprit, j’aide les plus faibles à survivre. Je dois comprendre ma chance. Je la comprends et j’accepte mon destin. Bientôt la lumière m’accueillera et je serai remerciée.
— C'est dingue. Je ne ressens rien pour toi, ajoute-t-il. Mais ma kekette...
— Ta kekette nous emmerde...