Décentrer le travail de nos vies n'implique pas de ne rien faire de nos journées, mais de ne plus rendre de comptes sur ce que nous faisons quotidiennement aux institutions capitalistes et étatiques.
On agit, on crée, on réalise des projets, sans avoir besoin qu'une institution, marchande ou publique, appelle cela travail en apposant un tampon "utilité sociale", potentiellement arbitraire. Nos activités ont une valeur existentielle en elles-mêmes : celle que nous leur accordons !
De même que les mouvements de consommateurs revendiquent que consommer est politique, parce que "c'est voter avec son porte-monnaie",
travailler est politique, parce que c'est "voter" avec son action quotidienne.
Enfin, nos sociétés se heurtent au problème écologique de la finitude des ressources et des conséquences néfastes de notre production.
La décroissance n’implique pas la privation et la frustration mais la meilleure satisfaction de nos besoins réels, avec moins de moyens.
Le fait que les philosophes ne soient pas concernés par l'activité de travail comme activité commandée nécessaire à leur survie matérielle explique que le thème du travail reste longtemps impensé en philosophie. (...) La philosophie du travail naît avec Hegel (...)
Jusque-là, la philosophie parle peu du travail, qui est plutôt un thème d'analyse économique.
Le contexte de précarité économique et d’incertitude pousse chacun, même les plus éduqués, à se soumettre au marché de l’emploi et à en accepter toutes les conditions.
Pourquoi rendons-nous équivalents travail, fierté, contribution sociale et épanouissement personnel ?
La décroissance est explicitement anticapitaliste : elle rompt avec la logique productiviste du "toujours plus", qui détruit nos êtres et nos ressources.
Elle rejette les valeurs dominantes actuellement : le "progrès" supposément infini, le "neuf" qui disqualifie le produit de l'an passé, la "liberté de choix" qui implique un gaspillage de la production inouï ou le "toujours moins cher" qui réduit sans cesse le prix du travail humain.
L’utopie n’est pas d’envisager la décroissance, mais de croire encore la croissance possible et souhaitable. Cela implique d’arrêter d’espérer la croissance du PIB, indicateur économique largement critiqué puisqu’il comptabilise la production d’antidépresseurs alors qu’il ne reconnaît pas la valeur existentielle et sociale des activités non-marchandes.
La centralité idéologique du travail reste impensée :
si le travail ne faisait pas souffrir, il serait souhaitable que tout le monde y consacre son existence et s'y épanouisse,
mais vu les souffrances actuelles, suggérons peut-être d'améliorer ses conditions d'exercice.