POÉSIE 19e La Poésie symboliste existe-t-elle ? (France Culture, 1971)
Lémission « La Tribune des critiques », par Pierre Barbier, diffusée le 29 juin 1971 sur France Culture. Invités : Bernard Delvaille, auteur dune anthologie sur la poésie symboliste publiée chez Seghers en 1971, et Pierre Barbier, Bernard Delvaille, Hubert Juin, Luc Estang, Stanislas Fumet.
Lorsque la mort viendra...
Lorsque la mort viendra,
aurai-je assez de paix en moi,
et de désir, et de silence?
Faudra-t-il rencontrer pour la dernière fois,
dans le miroir du vent,
celui que je n’ai pas su être ?…
J'ai pris de la pluie dans mes mains tendues
- De la pluie chaude comme des larmes -
Je l'ai bue comme un philtre, défendu
A cause d'un charme ;
Afin que mon âme en ton âme dorme .
[...]
(Francis Viélé-Griffin)
Le gaz est bleu
Du plus lointain du temps
du plus profond de ton enfance
les désirs étouffés remontent
Cette nuit d’été les accueille
ô tilleul du soir dans la brume
le long des rues de notre amour
à l’heure où la fontaine abrite
un regard triste et cruel
une bouche avide où se perdre
et ce désir étouffé qui surgit
Nuit de braise sur les jardins
herbe froide la solitude où l’on chavire
cette promesse à la même heure
d’accomplir un silence unique
Tu marches dans les rues
comme un fantôme au long des palissades
Le gaz est bleu
Quand nous en serons au temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête,
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur,
Quand nous en serons au temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur.
Jean-Baptiste Clément (1837-1903)
... Je croyais entendre
Une vague harmonie enchanter mon sommeil
Et près de moi s'épandre un murmure pareil
Aux chants entrecoupés d'une voix triste et tendre.
(Ch. Brugnot)
PLUS JAMAIS
Tel visage telle ombre
du plus lointain de ton enfance
d’un vent de neige et de départ
entrevue sur les marches du temps
Plus jamais disais-tu
dans la pâle incertitude des jacinthes
les soirs de long retour
et dans tes yeux se levait l’aube
Hiéroglyphes
O pourpiers de mon frère, pourpiers d'or,
fleur d'Anhour,
Mon corps en joie frissonne quand tu m'as fait l'amour,
Puis je m'endors paisible au pied des tournesols.
Je veux resplendir telle que les flèches de Hor :
Viens, le kupi embaume les secrets de mon corps,
Le hesteb teint mes ongles, mes yeux ont le kohol.
O maître de mon coeur, qu'elle est belle, mon heure !
C'est de l'éternité quand ton baiser m'effleure,
Mon coeur, mon coeur s'élève, ah ! si haut qu'il s'envole.
Armoises de mon frère, ô floraisons sanglantes,
Viens, je suis l'Amm ou croît toute plante odorante,
La vue de ton amour me rend trois fois plus belle.
Je suis le champ royal où ta faveur moissonne,
Viens vers les acacias, vers les palmiers d'Ammonn ;
Je veux t'aimer à l'ombre bleue de leurs flabelles.
Je veux encore t'aimer sous les yeux roux de Phrâ
Et boire les délices du vin pur de ta voix.
Car ta voix rafraîchit et grise comme Elel.
O marjolaines de mon frère, ô marjolaines,
Quand ta main comme un oiseau sacré se promène
En mon jardin paré de lys et de sesnis,
Quant tu manges le miel doré de mes mamelles,
Quant ta bouche bourdonne ainsi qu'un vol d'abeilles
Et se pose et se tait sur mon ventre fleuri,
Ah ! je meurs, je m'en vais, je m'effuse en tes bras,
Comme une source vive pleine de nymphéas,
Armoises, marjolaines, pourpiers, fleurs de ma vie !
( Remy De Gourmont)
Nocturne
La blême lune allume en la mare qui luit,
Miroir des gloires d'or, un émoi d'incendie,
Tout dort. Seul, à mi-mort , un rossignol de nuit
Module en mal d'amour sa molle mélodie.
Plus ne vibrent les vents en le mystère vert
Des ramures. La lune a tu leurs voix nocturnes :
Mais à travers le deuil du feuillage entr'ouvert
Pleuvent les bleus baisers des astres taciturnes.
La vieille volupté de rêver à la mort
A l'entour de la mare endort l'âme des choses.
A peine la forêt parfois fait elle l'effort
Sous le frisson furtif de ses métamorphoses.
Chaque feuille s'efface en des brouillards subtils,
Du zénith de l'azur ruisselle la rosée
Dont le cristal s'incruste en perles aux pistils
Des nénufars flottants sur l'eau fleurdelisée.
Rien n'émane du noir, ni vol, ni vent, ni voix,
Sauf lorsqu'au loin des bois, par soudaines saccades,
Un ruisseau turbulent croule sur les gravois :
L'écho s'émeut alors de l'éclat des cascades.
(Stuart Merrill)
Conversation
Comment ça va sur la terre ?
- Ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon dieu oui merci bien.
Et les nuages ?
- Ça flotte.
Et les volcans ?
- Ça mijote.
Et les fleuves ?
- Ça s’écoule.
Et le temps ?
- Ça se déroule.
Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
Elle a mangé trop de salade.
Jean Tardieu XXème siècle
C’est une épine
C’est une
épine
à tout
jamais
Les mots
sont brefs
et court
l’amour
Ne rien jeter
sur ce qui fut
Propice
est le sommeil
pour espérer
et regarder
sur le fleuve
les mouettes