Citations de Aurélie Wellenstein (256)
La succession des petites dunes sous leurs pieds, pareilles à des vagues immobiles, évoquait la mer disparue. Les arêtes de milliers de poissons luisaient dans les derniers rayons de soleil et face à eux, le crépuscule jouait sur les falaises, les colorant d’innombrables nuances de violet, mauve, ocre, fauve et blond. Au sommet des murailles de calcaire, un peu d’herbe jaunie bruissait à chaque coup de vent.
J'aidais les femmes de mon village à accoucher, expliqua Rixende. Et plusieurs fois, j'ai aidé certaines d'entre elles à avorter. On m'a dénoncée pour ça... Tu comprends ce qu'ils nous reprochent ? La maîtrise de notre corps et de notre sexualité. Et également d'aider d'autres femmes à faire de même...
La végétation était dense, le bois profond et touffu. Il était immergé dans un océan de nuances vertes et brunes, qui sentaient la terre, l'écorce humide et la sève. Des racines le faisaient trébucher. Des ronces s'accrochaient à son pantalon ou à ses manches. Le jeune homme, affamé, frigorifié, marchait le dos voûté, ses cuisses tiraillées par les courbatures, les pieds alourdis de boue. Le poids du casque l'obligeait à incliner le front comme une bête malade. La marche le vidait de ses forces et des élancements soudains, très douloureux, lui transperçaient les pieds et les mollets. Parfois, il tressaillait des pieds à la tête, lorsqu'il s'endormait en marchant.
Une raie manta.
Elle flottait, immobile, à l'envers. Sa cage thoracique décharnée, blanche, était gonflée par les gaz. Ses grandes ailes noires ondulaient mollement dans les courants marins. Ses yeux étaient pochés, morts. Elle faisait deux fois sa taille.
Comme toujours Oural fut giflé par l'horreur de ses blessures. Les branchies de l'animal dégorgeaient en silence un liquide noir et son torse éthéré, trouvé par un harpon, se décomposait en bouts de chair filandreuse.
Une relation saine nous aide à nous sentir nous-mêmes.
Oural s’accouda aux créneaux de la forteresse, ses avant-bras tatoués appuyés contre la pierre ocre et rugueuse, chaude de soleil. Le désert s’étalait depuis les remparts jusqu’à l’horizon tremblotant de chaleur. Difficile d’imaginer qu’il y a encore quinze ans de cela, une mosaïque de prés salés et de prairies inondées bordées de roseaux entourait la citadelle. La disparition des mers et des océans, par ricochets climatiques, avait métamorphosé cette région marécageuse en un chaos de roches basses, strié de crevasses, de sable fauve parfois vitrifié en coulures noires, et d’éboulis de terre rouge.
(incipit)
Cillian était assis à même le sol dans la chapelle. L'édifice était petit et ancien, rongé par le vent de mer. De rudes piliers soutenaient une voûte où pendaient les ex-votos des marins. Une senteur de caveau flottait dans l'air rance, mêlée d'une odeur de salpêtre. Les cierges étaient tous éteints, noyés dans leur cire. En arrivant, Cillian avait encore pu voir des représentations de l'Esprit Saint, sculptées dans des niches dans les murs. A présent, l'obscurité envahissait tout et l'averse tambourinait contre les parois en pierre.
Le Groenland est un sanctuaire marin, expliqua le médecin. Les deux pôles de la planète ont été longtemps des refuges climatiques pour les animaux et les humains. Des souterrains courent sous toute la surface du Groenland. Les nappes phréatiques y sont nombreuses. C’est une des dernières oasis du monde. Un endroit magnifique, encore baigné par la mer.
Épigraphe
« La mer au loin s'est retirée
comme l'Histoire au fond des temps
et la forteresse ignorée ne vit plus
qu'au souffle des vents. »
(Vitrail, Saint-Pierre de Brouage)
La troupe de musiciens continua d'avancer, muette et tremblante, jusqu'à saisir le spectacle dans tous ses affreux détails : le roi décharné, sa peau grise sur les os, à moitié nu, sa couronne pleine de toiles d'araignées. Les arachnides galopaient sur sa silhouette amaigrie et grouillaient dans ses cheveux. Des marques de morsures le constellaient, formant par endroits des hématomes violets, là où les parasites pondaient. Les bosses, gonflées de milliers d'œufs, s'éventraient régulièrement pour livrer passage aux nouveau-nés qui pullulaient ensuite dans la salle du trône.
Des tableaux indistincts étaient accrochés aux murs. Un rayon de soleil blafard éclairait l'un d'eux. En l'avisant, Cillian esquissa une moue : il représentait un homme pendu à un arbre mort. Un cocon de soie enveloppait le cadavre. Alors qu'il l'observait, une araignée se mit à courir sur le tableau et Cillian se recula précipitamment. La petite bête s'évanouit dans l'obscurité avant qu'il ait pu voir de quelle espèce il s'agissait.
Il en existait de toutes sortes. La "veuve noire" était la plus commune. C'était cette race en particulier qui tissait dans les pensées et engluait l'esprit de leurs proies. Beaucoup plus rare, la "lycose de Tarente" dotait ses victimes de pouvoirs mystiques : les femmes changées en redoutables sorcières étaient traquées par l'inquisition ; les hommes, la plupart du temps, en mouraient, mais il arrivait qu'ils obtiennent par ce biais "l'Illumination", qui les propulsait au sommet de la hiérarchie ecclésiastique. L'araignée "fileuse" était apparentée à la race précédente, mais suscitait simplement des rêves prémonitoires. Les "araignées rouges" transmettaient la rage. Les "marionnettistes" étaient capables d'animer les cadavres. Les "araignées-dragons" collectaient des trésors, et enfin les "araignées-vampires" suçaient le sang. D'autres s'ajoutaient sans doute à cette liste, et l'un des jeux préférés des enfants était d'inventer les races les plus terrifiantes possible.
C'était bizarre, poursuivait le capitaine. Des milliers de gens venaient se presser dans l'eau. Cela coûtait très cher et au final, on ne faisait que flotter dans une marée humaine. L'eau était grasse et huileuse de crème solaire. Il n'y avait déjà plus de poissons à l'époque. La couleur de l'eau était dégueulasse, de la boue rouge. C'était un présage évident de la future catastrophe, pourtant, tout le monde faisait semblant de trouver ça génial. Personnellement, j'en garde un assez mauvais souvenir.
Le réchauffement climatique, en réduisant l’oxygénation des océans, avait entraîné leur acidification. Les rejets d’engrais, d’hydrocarbures et de déchets dans les estuaires avaient pollué les eaux claires et les avaient changées en écume sale et huileuse. Les récifs coralliens étaient morts les premiers. Puis la banquise s’était amenuisée sans espoir de retour. Le krill à la base de la chaîne alimentaire marine avait disparu, poursuivant parmi les espèces aquatiques la désastreuse réaction en chaîne qui les avait amenés jusqu’ici : dans un cimetière.
- Je veux le faire. Je le ferai. J'attends ce moment depuis dix ans.
- Comme moi jadis. Mais si tu t'obstines, tu ne vivras pas aussi longtemps que moi.
- Je ne serai plus jamais esclave. Quoi qu'il arrive, tout ça...
Il balaya les cuisines, les autres serviteurs d'un geste du bras.
- ... Ce sera terminé dans six jours.
La cuisinière secoua doucement la tête, mais dans son regard, Faolan eut l'impression de lire une fierté lasse. Si elle cherchait à le décourager, c'était par amitié, par peur pour lui, mais au fond de son cœur, elle soutenait sa démarche. En plus de ses propres espoirs, le jour des sélectifs, Faolan portrait ceux des autres opprimés. Un petit sourire éclaira son visage. Quoi qu'il arrive dans une semaine, cela en vaudrait la peine.
Pour moi, l’univers doit être au service de l’histoire. L’histoire va toujours primer. L’action va primer. Mes descriptions s’inscrivent « dans le mouvement ». J’essaie d’avoir une plume assez énergique.
Oural s'accouda aux créneaux de la forteresse, ses avant-bras tatoués appuyés contre la pierre ocre et rugueuse, chaude de soleil. Le désert s'étalait depuis les remparts jusqu'à l'horizon tremblotant de chaleur. Difficile d'imaginer qu'il y a encore quinze ans de cela, une mosaïque de prés salés et de prairies inondés bordées de roseaux entourait la citadelle. La disparition des mers et des océans, par ricochets climatiques, avait métamorphosés cette région marécageuse en un chaos de roches basses, strié de crevasses, de sable fauve parfois vitrifié en coulures noires, et d'éboulis de terre rouge.
(Incipit)
Je dis toujours que je n’arrive pas à écrire des romans sans animaux. Quoi que je fasse, ils s’imposent. Les animaux sont un trait d’union vers la nature, vers notre part animale refoulée. C’est l’irruption du sauvage dans l’univers bien organisé de l’homme moderne. C’est la connexion au présent, à l’ici et maintenant. L’amour, l’énergie, la lumière, la vitalité…
Un cheval sauvage capturé, frappé, attaché, et monté par un homme qui le force...
C'est un crime !
- Les animaux meurent, cria-t-elle. Vous n'avez rien enrayé. Vos courriers, vos pétitions, quand est-ce qu'elles vont aboutir ? Tu crois qu'ils vont fermer l'abattoir ? Tu crois que vous allez sauver les animaux ? Mais tu rêves ! Qu'est-ce qui se passait derrière les portes de l'abattoir pendant que vous crachez le vent de vos poumons ? Un porc était pendu à un croc de boucher, il se vidait de sang dans la terreur.
Les camps où l'on parquait les réfugiés climatiques étaient de vastes prisons à ciel ouvert qui s'étendaient sur des kilomètres, jonchées de boue séchée, de détritus et de cadavres d'humains et d'animaux. Les migrants construisaient eux-mêmes leurs abris de fortune, des tentes, des appentis, des cabanes surmontées de toile cirée ou de tôles ondulées pour les plus "riches". Les faisceaux des miradors balayaient nuit et jour ces baraquements insalubres. Ils vivaient tous pieds nus sur la terre craquelée par la chaleur, couverts de poussière, vêtus de chiffons. Aidé par son talent de cuisinier, Congo évoqua avec une redoutable efficacité les remugles du camp : fumée, charbon, de bois, pisse et merde exacerbés par la canicule. Et là-dedans, chaque jour les viols, chaque jour les passage à tabac et les meurtres.