Agathe Lemaitre - Le Livre de Liane
(Extrait d'un texte de Liane, retrouvé dans son ordinateur.)
J'aurais aimé être écrivain. Pas pour écrire aux autres. Mais pour m'écrire à moi. Pour pouvoir me parler, m'apprivoiser. Pour pouvoir me sauver. Si j'y étais parvenue, j'aurais pu tout vous raconter. Cela vous aurait plu, je crois.
On dit qu'au moment de la mort, le cerveau produit des endorphine en quantité massive. Que nos derniers instants sont inondés par ce bonheur chimique. J'espère que c'est vrai.
Bien souvent les réponses sont en nous-mêmes, et les obstacles aussi.
Avancer, ça veut dire lier des liens vers l’avenir, oui, mais aussi couper les liens qui nous retiennent au passé. Il faut les deux pour avancer.
Pendant les nombreuses années de mon enfer, je n’ai jamais été frappée. J’aurais bien aimé, pourtant. J’aurais aimé prendre des coups, avoir des bleus et des plaies. J’aurais aimé avoir des blessures pour pouvoir les montrer au monde en disant, en hurlant « Regardez ce que je vis ! ». Ça n’a pas été le cas. Je n’ai été blessée qu’à l’âme.
Je voudrais simplement faire passer un message à ceux qui me liront : la parole est dans doute l'une des choses les plus puissantes de ce monde. Je l'affirme haut et fort : les mots peuvent tuer. [...] Avec le temps et le recul, j'ai appris quelque chose. Les mots peuvent guérir, aussi.
Je sais que beaucoup ne me comprendront pas. Me traiteront d’égoïste, de menteuse, d’hypocrite, iront jusqu’aux insultes. Tant pis. Il n’y a rien d’autre à comprendre que la souffrance. Je ne pense pas qu’on puisse comprendre la douleur, tant qu’on ne l’a pas vécue soi-même.
Bien sûr que c'est agréable d'être entourée par les personnes qui te sont chères. De pouvoir leur parler, se livrer, être aimée.
Mais il faut avoir conscience qu'elles ne définissent pas qui tu es. Ce que tu es.
Tu es un oiseau.
Et tu sais voler.
Même sans eux.
Comme s’il avait attendu ce signal, mon père sort son portable de sa poche. Il en active le haut-parleur, et nous nous penchons au-dessus de l’iPhone. Avec application, mon père compose le numéro.
— Police judiciaire de Toulouse, bonjour.
— Bonjour. Monsieur Martin à l’appareil.
— Ah, monsieur Martin. Oui, en effet, je vous remercie
de me rappeler.
Une porte claque, puis il y a un bruissement de feuilles
de papier.
— Je suis l’agent Maurel, de la DCPJ de Toulouse. Mes
condoléances, monsieur.
Court silence. J’avale ma salive. Il a dit « mes condoléances » par automatisme, sans même faire en sorte que ça sonne vrai.
C’est nul, tu parles jamais, on s’emmerde avec toi. »
Et pourquoi tu crois que je ne parle plus ? Ma vie se résume à attendre que la journée se termine pour m’éloigner de toi. Je te déteste, je me déteste. […] Je voudrais disparaître. Tout oublier, ne plus l’entendre, ne plus la voir, juste oublier ces longs mois de torture, en finir. Je ne pensais pas que l’on pouvait continuer à vivre tout en souffrant autant.