À partir de ces présupposés [selon lesquels la philosophie de Kant représente la forme la plus typique de domination de l’intellectualité logique et impersonnelle sur les milieux vitaux du sujet et sur le résidu qualitatif et non rationnel de l’Erlebnis], Simmel reconnaît chez Bergson un effort philosophique commun au sien, tendu vers l’élaboration de moyens théoriques pour dépasser la doctrine de l’expérience kantienne, jugée réductrice.
L’esprit d’Eucken est en somme une activité en mesure de se dépasser elle-même constamment et de créer de l’énergie, tout comme l’élan vital bergsonien.
Le « psychologisme misologique » dont la philosophie de Bergson est l’expression a désormais été dépassé, selon Scheler, par la phénoménologie husserlienne. Il estime en effet que le chemin indiqué en partie entrepris par Bergson et d’autres philosophes de la vie avec leur référence à l’Erleben trouvera son accomplissement uniquement par des « méthodes plus rigoureuses, plus exactes et plus allemandes », comme celles indiquées par Husserl dans les Logische Untersuchungen et dans les Ideen.
« L’esprit humain est ainsi fait, il ne commence à comprendre le nouveau que lorsqu’il a tout tenté pour le ramener à l’ancien »
Bergson.
Pour Bergson [contrairement à Scheler], la civilisation ne représente donc pas une décadence qu’il faudrait surmonter au moyen d’une geistige Kultur en mesure de rouvrir à l’homme les portes d’un Eden perdu.
Tout comme Scheler a nié l’existence d’un rapport de détermination causale entre développement technique et croissance spirituelle, ainsi Bergson dans « les deux sources » exclut la possibilité qu’il y ait « une fatalité inhérente à la machine »
Eu égard à la méthode husserlienne, l’intuition bergsonienne apparaît à Scheler viciée de subjectivisme et impossible à transposer en une méthode générale, du fait de son caractère obscur, flou et superintellectuel, contrairement à la Wesensanschauung phénoménologique, qui fournit la base une profonde transformation de la Weltanschauung européenne.
Scheler note donc dans la philosophie de Bergson une tension entre technique et esprit, formulée avec les termes technische Zivilisation et geistige Kultur.
L’attention contradictoire entre biologisme naturaliste et mysticisme psychologiste présente dans doctrine bergsonienne de la connaissance est en dernière instance attribuée à la surévaluation du rôle métaphysique de la vie [chez Scheler].
Comme cela arrive fréquemment au cours de ces années, Bergson est apparenté au pragmatisme, courant qui en terrain allemand est souvent critiqué en raison de la référence à une intelligence d’une portée relative uniquement guidée par les critères de l’action, incapable de saisir la nature des choses.