Nous sommes en février 1996. Yvette se rend à Berlin en vue de recueillir les témoignages d'intellectuels allemands sur les conséquences de la réunification (1990).
Pourtant, rapidement elle se rend compte que les tensions entre ceux qui ont toujours vécu à l'Ouest et les anciens sujets de la RDA (communistes) sont encore si fortes que son objectif premier s'apparente à une mission impossible : « Je comprends de mieux en mieux que l'Ouest a purement et simplement colonisé Berlin-Est, et sans doute la République démocratique allemande (RDA) tout entière – en faisant table rase de tout ce qui s'y était pensé, accompli, construit pendant cinquante ans. »
Les citoyens de l'Est, « Allemands de 2e zone aux yeux de leurs « frères » retrouvés, ils se sentent humiliés et incapables encore de s'adapter à l'esprit de compétition, de rendement, qui a succédé à l'idéal de fraternité et de solidarité en lequel ils avaient mis leur espoir, un idéal trahi » par leurs propres dirigeants communistes, mais remplacé maintenant par quoi ?
Alors, au fur et à mesure que les jours s'écoulent, l'écrivain genevoise s'aperçoit que c'est plutôt le passé de cette ville hors norme qui la touche. Son arrière-grand-père y était né, son grand-père était viennois et son père suisse alémanique. C'est donc un lien viscéral qui la relie au monde germanique : « J'ai l'impression de retrouver une patrie lointaine, perdue dans la brume des années. »
Dès la 17e page du récit, YZ revient sur son enfance dans la Suisse bourgeoise de l'entre-deux-guerres. Elle se souvient de son admiration pour les films de propagande de
Leni Riefenstahl (1902-2003) qui montrent de sublimes garçons blonds et bronzés qui chantent des chansons guerrières et nationalistes… Par contre, elle a une aversion instinctive pour la voix agressive du Führer (
Adolf Hitler) que son père écoute respectueusement à la radio en se disant qu'il dit beaucoup de choses justes... Oh, fétide air du temps !
Sur le conseil d'une amie berlinoise, elle se rend au Bendlerblock, un important lieu de mémoire. Il a notamment servi de cadre au complot ayant planifié l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Il abrite dans son aile est le Musée de la Résistance allemande. Or, qui parmi les lecteurs francophones peut se targuer d'être au fait de l'étendue et la variété de celles et ceux qui ont risqué leur vie et celle de leurs proches pour lutter contre le rouleau compresseur nazi ? Bien peu à ma connaissance... et j'en fais partie !
On y découvre notamment le combat d'intellectuels, d'étudiants et de membres éminents de la noblesse prussienne qui ne pouvaient accepter ce qui arrivait à leur pays. Presque tous ont péri, souvent après de longs séjours dans les geôles berlinoises.
Mais, le plus émouvant de ce petit livre c'est à mon avis les extraits de sa correspondance avec Herbert, un universitaire allemand rencontré à Genève vers 1939. Durant une décennie et malgré la guerre qui fait rage en Europe, ils vont s'écrire régulièrement. Une occasion unique de découvrir de l'intérieur les cas de conscience d'un banal soldat de la Wehrmacht sain de corps et d'esprit...
Au moment de conclure, je ne peux que recommander la lecture de cet auteur clairement en avance sur son temps dont la prose concise et nerveuse au bon sens du terme est un régal en plus d'apporter une foule d'informations sur le camp des vaincus de cet ignoble épisode de l'Histoire.
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