Les Artistes Célèbres : Paul Véronèse

Chacune des toiles de Paolo est une fête pour les yeux ; son oeuvre tout entier respire l'allégresse; il reflète le ciel léger de sa patrie et l'atmosphère transparente où les coupoles argentées semblent flotter dans des nuages nacrés traversés par un rayon de soleil. Dans les toiles du maître, on retrouve jusqu'aux colorations changeantes de la lagune tachetée çà et là par les noirs pilotis des canaux, et les nuances irisées qui se jouent sur les frêles aiguières de Murano.

L'histoire et la religion sourient aussi dans ses compositions; il prête à la divinité les attitudes des mortels; ses héros et ses saints personnages portent les costumes chatoyants de son époque : Vénus, Diane, les Nymphes et Calypso laissent traîner derrière elles leurs jupes de brocart et de cremesino; pour elles il vide les coffrets des patriciennes; Didon se change en dogaresse, Enée a revêtu l'armure d'un Capitaine de la mer ou d'un Provéditeur. Aux noces de Cana, dans des palais superbes aux nobles architectures, sous les loges des portiques de marbre des Grimani ou des Pesaro, il convie tous les contemporains illustres depuis Soliman jusqu'à Charles-Quint, et, par un piquant anachronisme; il invite aussi les illustres artistes de son temps, laissant à la postérité le plus étrange et le plus sincère des documents.

Paolo se décida à aller faire fortune à Venise, où il était adressé à un de ses compatriotes du Véronais, Bernardo Torlioni, prieur du couvent de Saint-Sébastien. Il arriva dans la ville des Doges au commencement de l'année 1555 ; c'est de là que date sa fortune, et le bon prieur a joué un grand rôle dans sa destinée. Ce brave ecclésiastique savait mieux que personne la valeur du jeune artiste dont Vérone était déjà fière. Grâce à lui, Paolo obtint de la communauté de Saint-Sébastien la commande d'un ensemble de cinq peintures dont un sujet principal, le Couronnement de la Vierge, et quatre pendentifs.

Peintre et uniquement peintre, il broie des couleurs, il lutte avec la lumière; comme un vaste orchestre nous verse des torrents d'harmonie qui se peuvent décomposer en mille effets variés produits par des instruments divers, il déploie à nos yeux un vaste tableau d'ensemble où chaque ton, heureusement mis à sa place, concourt à un effet d'ensemble dont on ne doit chercher ni la philosophie ni la raison, ni le secret, mais dont on subit toujours le charme.

Rarement le Véronèse cherche à évoquer la pensée, il flatte plutôt les yeux, les amuse et les séduit; il étale au regard toutes les splendeurs de la vie, tous les biens que le ciel nous donne, tous les ravissements qui peuvent exalter le coeur de l'homme au sein de la nature, le retenir sur la terre et lui faire aimer la vie; et son esthétique n'est pas plus profonde que son intention n'est grave.