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PAS DE BRAS, PAS DE COMBAT...

Avant de rentrer dans le vif du sujet, une rapide précision pour remettre les pendules à l'heure, les bras à leurs places, et les légendes urbaines à la poubelle : non, Limbo n'est pas "le seul roman" de Bernard Wolfe, ainsi qu'on peut régulièrement le lire. Son unique roman dans le domaine de la SF, de l'anticipation, de la dystopie, c'est exact. Mais il suffit de mettre le nez deux secondes dans sa fiche Wiki (pour ne prendre que cette référence) pour s'apercevoir qu'il en a écrit au moins trois autres - dans le domaine du roman d'espionnage - ainsi qu'un nombre considérable de nouvelles ainsi que des essais. Par ailleurs, Wolfe était diplômé en psychologie de la célèbre université de Yale et journaliste de profession, deux traits du personnages qui auront leur importance dans la rédaction de ce roman.

Limbo... le titre de l'ouvrage est à lui seul une énigme, un titre à tiroir dans lequel on peut trouver quelques début de pistes pour ce livre qui n'en manque pas. Limbo... Limbes... le rapprochement est aussi évident que justifié, les limbes - pour ceux qui auraient séché les cours d'initiations à l'histoire des religions -, c'est ce lieu assez flou, mal défini où auraient été reçues les âmes des justes, morts avant la résurrection du christ (une sorte de prison en attendant mieux.Mais sans enfer). par la suite, cela devint ce lieu toujours aussi flou et mal défini où l'âme des enfants n'ayant pas eu le temps de se faire baptiser attendraient le retour du Messie. Bref... Un lieu toujours flou, mal défini, mais plus ou moins divin malgré tout... Limbo renvoie aussi à Rimbo, l'un des fils du Dr Martine, principal personnage de l'histoire et référence directe à notre Rimbaud national, avec lequel l'auteur semblait être assez familier. Limbo, c'est encore un genre de parler verlan pour "l'immob", une des trouvailles (relativement morbide mais géniale) de Wolfe. Si vous êtes toujours bien accroché, alors, poursuivons !

Nous sommes en 1990. La Troisième Guerre Mondiale, opposant dans un soucis systématique de destruction et de guerre totale, les USA et l'URSS, par l'entremise d'un système informatique géant et néanmoins délirant nommé EMSIAC, chacun des deux géants de la guerre froide ayant une réplique quasi exacte de l'autre, chacun des deux processeurs se battant contre l'autre comme s'il ne s'agissait que d'une simple partie d'échec, mais quelle ! cette guerre-là est enfin achevée. Seulement, le Dr Martine, fuyard écoeuré tant par ce bain de sang généralisé et insensé que par sa propre place dans le système (il "répare" ni plus ni moins des êtres humains afin, le cas échéant, de les remettre au combat), déserteur donc, ne sait en rien que le conflit s'est terminé quelques années plus tôt, et vit, reclus mais passablement heureux, sur une petite île inconnue des cartes située en plein Océan Indien. Là, il est devenu le chirurgien lobotomiste attitré de la petite population autochtone, laquelle pratiquait déjà la lobotomie à grande échelle avant son arrivée, mais avec un nombre épouvantable d'échecs mortels... C'est par ailleurs une population toute tournée vers le pacifisme intégral, traitant comme il se doit - par la lobotomie, donc - toute personnalité supposée déviante et dangereuse pour cette micro-société. Hélas, cette tranquillité ne pouvait avoir qu'un temps, et c'est par l'entremise d'une équipe olympique d'un genre parfaitement nouveau que notre bon docteur va reprendre pied avec la civilisation d'où il est originaire. Pourquoi spéciale ? Et bien, tout simplement parce qu'elle est constituée d'athlètes n'ayant plus un seul de leurs membres d'origine mais des extensions articulées, modifiables et modulables, fonctionnant à l'énergie atomique et fabriquées grâce à un métal aussi épatant que rare : le colombium (aujourd'hui, on le nomme : niobium). La petite troupe de supposés sportifs est menée par un étonnant personnage nommé Théo, lequel s'avérera l'un des deux autres personnages principaux du récit.

Bien qu'ayant fondé un foyer sur cette île improbable - qui n'est pas sans évoquer l'Utopia du philosophe anglais Thomas More, signifiant, hasard ! "lieu qui n'est nulle part" - le Docteur Martine sait qu'il ne peut faire l'économie d'un voyage dans son ancien pays, les USA, y retrouver, peut-être sa femme légitime et son autre fils, chercher à comprendre ce qui a pu se passer durant deux décennies précédentes, s'apercevoir qu'il n'y reste pas grand chose, à l'instar du reste de la planète, les USA étant devenus l'Hinterland, une zone géographique non atomisée d'une vingtaine de millions d'habitant se situant, plus ou moins, dans l'actuelle région des "grandes plaines".

Là, il va y découvrir un monde dans lequel le must, surtout lorsqu'on est jeune et vigoureux, est de pouvoir se faire amputer d'un membre, de deux, de trois et, faveur suprême, des quatre ! Pour se les faire remplacer, illico presto, par ces fameuses prothèses électro-mécaniques sur-puissantes, de connaître ainsi la vie rêvée des "amp", ou, pour les plus extrémistes d'entre eux, de vivre dans des espèces de paniers, comme de gros bébés sans membres, afin de réaliser le pur idéal "Immob", cet idéal abouti du pacifisme total et universel. Car oui ! l'Immob est l'aboutissement morbide (et, il faut bien l'avouer, d'un humour noir consommé de l'auteur) d'une théorie découverte par un jeune médecin, relayé sans l'ombre de commencement d'un sourire par son ancien adjoint, le Docteur Helder, devenu président de l'Hinterland, soutenu dans toutes ses actions, comme un seul homme (sans bras ni jambe) et dans la plus époustouflante des candeurs par l'ami Théo. Cette théorie, jusqu'au-boutiste et pied-de-la-lettriste (si vous me le permettez) procède d'un jeu de mot difficilement traduisible en français : no arm (pas de bras), no arm (pas d'arme), ou, pour respecter la forme presque autant que le fond : pas de bras, pas de combat...

S'ensuit une sorte de double enquête. Celle du docteur Martine dans laquelle il est, sans le savoir, à la recherche de lui-même et d'un certain journal intime (celui du jeune chirurgien qu'il fut durant les hostilités), entremêlant vraies réflexions sur la guerre, son rôle, toute cette folie humaine et d'autres moments d'une dérision noire, cynique, expiatoire se donnant, pour rire, comme solutions irréalistes à cet univers surréaliste mais vrai de couper tous les membres des potentiels combattants... L'autre enquête est menée, d'abord à son insu, par des compétiteurs ex-soviétiques qui veulent comprendre qui est ce drôle de type se baladant sous plusieurs noms d'emprunt, en particulier celui de Dr Lazarus (sic !), auxquels il n'échappe pas qu'il n'est pas celui qu'il prétend être, mais à qui ils attribuent un rôle qu'il n'a pas. Il fallait bien que notre auteur fourre un peu de roman d'espionnage dans son intrigue puisque c'est ainsi qu'il a débuté sa carrière d'écrivain. Mais cet épisode n'est pas gratuit, loin s'en faut. Car l'on va très vite comprendre que si la guerre est, momentanément, éradiquée, celle-ci est susceptible de resurgir à n'importe quel instant, qu'à défaut d'être pour le moment belliqueuse, c'est une guerre du renseignement et de l'appropriation du fameux colombium auxquelles que se livrent, sans partage possible, les deux nations supposément devenue pacifistes.

Disponible dans une édition retraduite enfin complète depuis la fin de l'année 2016 - toutes les précédentes, depuis la première parution en français de 1955 étaient tronquées d'environ un cinquième du texte -, c'est peu de dire que ce Limbo est un ouvrage difficilement classable. Dans une certaine mesure, on y retrouve les ingrédients du texte utopique : la description de l'île de Mandunga pourrait y faire songer... Seulement, on y pratique tant la lobotomie, qu'on a de la peine à en rêver. de toute manière, avec un chef se nommant Ubu... Des éléments d'anticipation : des ordinateurs surpuissants prenant le pas sur toute décision humaine véritable durant la guerre, une précognition de ce que l'on appelle aujourd'hui le "transhumanisme", etc, Des éléments d'anti-utopie ou de dystopie, si l'on préfère : ce monde supposé parfait dans lequel le pacifisme est devenu obligatoire, où certes, les jeunes hommes ne peuvent plus se battre avec leurs propres membres, mais quid de prothèses pouvant devenir, par extension et finalité, des armes (on "croise" des bras lance-flammes presque dès le début du livre) ? Des éléments de réflexions philosophiques plus larges, principalement sur le sens même du pacifisme - n'oublions pas qu'à la publication de son roman, nous sommes en 1952, le "Mouvement pour la Paix" est bientôt à son apogée. Que le savant Oppenheimer s'est déclaré inquiet par la course à l'atome dans la guerre froide opposant les deux grands blocs. Que l'appel de Stockholm a fait date... Mais que nous sommes aussi en pleine folie Maccarstyste aux Etats-Unis - mais aussi sur ce qui fait de nous des êtres humains, sur la fabrique du consentement, tel qu'on ne l'écrivait pas encore alors, sur les fondements des états, ce qui les rend difficilement changeables en profondeur, ce qui rend toute utopie profondément et sans doute définitivement... utopique ! etc. Gérard Klein, dans l'une des deux excellentes préfaces à cet ouvrage incroyable et déroutant parle quant à lui, non sans esprit, d'anti-anti-utopie, se reprenant de suite en songeant que cette double négation n'aide pas à une compréhension parfaite de l'oeuvre de Bernard Wolfe. C'est pourtant ce qui la définirait le mieux !

On pourra, bien évidemment, regretter le manque de recul de l'auteur face au moment historique dans lequel il se trouve - la guerre froide -. On pourra encore l'accuser de machisme et de sexisme - c'est bien plus subtil que cela, mais le livre n'en est pas dénué et certaines réflexions sur la situation des femmes par rapport aux hommes, sur l'érotisme, sur l'amour, font aujourd'hui peine à lire - et c'est sans nul doute la thématique abordée la plus désagréable et dépassée de l'ensemble. On peut encore y voir du racisme - pour le coup, ce serait une lecture parfaitement injuste et faisant part d'une totale incompréhension des intentions de l'auteur-. On pourra aussi regretter le style très "blanc", très journalistique, et si le roman se lit de fait sans anicroche, on n'y trouvera ni grandes envolées lyriques ni descriptions captivantes, ce n'est donc certainement pas la qualité première pour laquelle ce long roman peut retenir l'attention. Les jeux de mots, en revanche, sont aussi difficiles à traduire qu'ils font preuve d'une intense réflexion autant que d'humour. Sa construction, en revanche, est d'une très grande intelligence, nous menant d'un point à l'autre de la planète, et retour tandis qu'à l'intérieur de cette grande boucle spatiale Wolfe nous emmène à l'intérieur de plusieurs autres, spatiales, temporelles, instillant de telle manière un suspense qui, à défaut d'être haletant, sait captiver son lecteur de bout en bout, à l'exception d'une baisse de rythme vers son milieu. Là, c'est le Wolfe psychologue qui tend à prendre le relais. Et si le rythme s'essouffle parfois, on trouvera un autre intérêt à la lecture : celui d'un processus de recherche intime qui en passe par des notions et références d'une grande richesse en sociologie, psychologie, psychanalyse, science politique, linguistique (etc) qui viennent densifier l'ensemble, lui apporter son eau, lorsque le seul moulin de l'action risquerait de tourner à vide.

On peut trouver tout ces défauts à ce prédécesseur, en particulier, du génial tous à Zanzibar de John Brunner. On peut hésiter à le mettre sur une même liste que l'archi-célèbre 1984 ou encore le Meilleur des mondes non moins connu de Huxley. Il n'empêche que cet ouvrage relativement inclassable, à l'humour noir, dévastateur et irrespectueux, à la verve d'une originalité stupéfiante fut et demeure un grand classique que l'on a certainement pas fini d'explorer. Souvenez-vous : le transhumanisme n'en est qu'à ses débuts...




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Le docteur Martine a déserté lors de la Troisième guerre mondiale pour s'échouer sur une petite île inconnue des cartes. Spécialiste de la lobotomie, et dégoûté des Hommes et de la guerre, il s'intègre dans la communauté résolument pacifiste peuplant l'île, qui n'hésite pas à ouvrir le crâne des habitants un peu trop nerveux. Pendant dix-huit ans, il oublie tout de son ancienne vie, se contentant d'accomplir les rituels antiques avec des instruments médicaux et des méthodes un peu plus moderne. Un jour cependant, des hommes occidentaux débarquent sur l'île. Martine sera bien forcé de faire face à son passé.

Le roman est présenté par son éditeur comme un classique de la dystopie méconnu, préfigurant 1984 ou Fahrenheit 451. On ne peut pas nier des traits communs entre ces romans, mais Limbo contient à mon sens beaucoup trop de défauts pour espérer passer à la postérité.

Le premier défaut, et non des moindres, c'est que l'univers dystopique proposé n'est absolument pas crédible. Dégoûté par la guerre, la population a massivement adopté l'amputation des bras et des jambes, montrant ainsi sa volonté d'en finir une bonne fois pour toute avec la violence. C'est un peu extrême, mais jusque là, si l'auteur montre un bon endoctrinement de la société, ça pourrait passer. Seulement, deux ans après ce mouvement de masse, les amputés reviennent avec des membres électroniques, capables de faire lance-flamme, de scier des troncs, de démolir des murs… tout en continuant à clamer qu'ils ne recherchent que la paix. Pour moi, la contradiction est beaucoup trop évidente et ne passe pas du tout.

Deuxièmement, le livre fondateur de cette nouvelle société n'est pas crédible non plus. . le livre est bourré de passages ironiques du type « Les gens sont tellement abrutis que si on leur demanderait de couper leurs bras pour la paix, ils ne feraient ». Un homme politique vient ensuite en disant « Regardez ce livre, il faut vous couper les bras pour la paix. » et la population de répondre « Cet écrivain est un génie et c'est exactement ce qu'il a voulu dire ! » Je ne suis pas spécialement optimiste sur la capacité des masses à faire face à la propagande, mais encore une fois, c'est un peu gros à avaler.

Plus anecdotique, la vision qu'a l'auteur de la sexualité est assez particulière, et est souvent gênante à lire. Au fil des pages, on tombe sur ce genre d'extraits : « Martine devinait en elle le type perpétuel de la clitoridienne, embourbée depuis l'adolescence dans les préliminaires de la vraie vie sexuelle, pelvis bouclé à double tour et les profondeurs érotiques anesthésiées. » ou « La condition nécessaire à sa satisfaction était de jouer l'homme, d'absorber l'homme, de la châtrer. […] C'était au demeurant une forme spectaculaire de frigidité. Si elle pouvait éprouver la sensation d'usurpation mâle de cette manière, il y avait beaucoup de chances pour qu'elle retombât dans les normes plus traditionnelles, en transférant son centre érotique vagin au clitoris, ce phallus fantôme, laissant croire à son partenaire qu'il s'agissait de l'article authentique... ». Qu'a fait madame pour mériter un tel mépris ? Elle préfère simplement la position de l'amazone à celle du missionnaire…

On sent l'auteur un peu trop coincé dans son époque : on repère trop facilement la guerre froide entre américains et russes, les théories en vogue dans les années où ce livre a été écrit, … Il manque cette capacité à extraire des problèmes universels par lesquels le lecteur se sent concerné des dizaines d'années plus tard. Et dans une dystopie, ça ne pardonne pas.
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La lecture de ce roman m'a causé une grande déception : intéressé par toutes les dystopies, contre-utopies et consorts, j'avais découvert il y a peu ce texte considéré comme incontournable.
Or de quoi s'agit-il en réalité ? d'une histoire à l'idée forte, l'échec du pacifisme, mais racontée sans rythme, sans suspense (ou si peu), sans maîtrise de la narration (on s'ennuie et on saute des pages en attendant mieux), desservie par une écriture plate de type sous-journalistique.
Mais le plus pénible reste l'érudition mal digérée de l'auteur qui plaque Marx, Freud, Sartre, Nietzsche et j'en passe, en longues tartines dépourvues de toute analyse, sans recul, sans réflexion, finalement, et sans maîtrise, même superficielle des sujets abordés. L'auteur semble fasciné par ses propres mots et les concepts qu'il manipule, un peu comme un enfant qui jouerait avec une mécanique trop complexe pour son âge.

La société décrite est également peu crédible : or, dans un roman de ce type, la vraisemblance de l'univers constitue un critère fondamental de qualité du texte. le lecteur veut y croire pour pouvoir rentrer dans la pensée de l'auteur, et là, sincèrement, on tombe vraiment dans le ridicule.Je ne parle pas des aspects techniques (très mal amenés, d'ailleurs, mais c'est un détail), mais plutôt des aspects sociétaux, psychologiques et tout simplement pratiques : l'auteur n'a jamais lu un livre d'ethnologie ou de sociologie alors qu'il décrit une tribu isolée et des sociétés censément fondées sur des principes pacifistes réduits à des affirmations ridicules.
L'auteur peine quand il passe des pages et des pages à essayer de justifier cet univers, d'en expliquer les fondements philosophiques et historiques d'une manière aussi inefficace que pitoyable. On éprouve le sentiment étrange qu'il n'a pas vraiment réfléchi à ce que signifie le pacifisme et qu'il en est resté à des idées sommaires et toutes faites.

Et que dire des passages interminables sur la sexualité, l'orgasme, la position de la femme (au sens propre et au figuré) qui révèlent un sexisme que l'époque ne saurait excuser ("M. devinait en elle le type perpétuel de la clitoridienne, embourbée depuis l'adolescence dans les préliminaires de la vraie vie sexuelle, pelvis bouclé à double tour et les profondeurs érotiques anesthésiées").Les scènes d'amour et de viol mais aussi les considérations sur les femmes exprimées dans ce roman reviennent obstinément et de manière assez complaisante, au point de parasiter la narration déjà molle.
Je suis surpris de constater que les rares commentaires qui évoquent le caractère machisme des thèmes et des situations les considèrent comme un dommage collatéral de l'époque. Il en est de même pour le traitement des Noirs, aussi déconsidérés que les femmes.
L'époque influence bien sûr chaque écrivain qui, d'une certaine manière, ne peut s'empêcher d'être un homme de son temps mais rien ne lui interdit de prendre un peu de hauteur, surtout lorsqu'il se targue de dénoncer certains comportements. Ou faudrait-il croire que même cette dénonciation (en l'occurrence celle de la violence inhérente à l'homme) est issue de l'air du temps et non d'une réflexion originale ?

Finalement, ce roman brasse beaucoup d'idées en vogue à l'époque de son écriture (pacifisme, violence...) mais sans jamais réussir à faire avancer ni son intrigue ni la réflexion qu'il est censé initier. Ses fréquentes longueurs et lourdeurs de style en font une lecture décevante, bien loin de ce qu'on pouvait attendre d'un roman considéré par beaucoup comme incontournable.

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On pourrait prendre Bernard Wolfe pour un fainéant, fainéant parce qu'il n'a rien écrit d'autre dans sa vie que ce roman... mais alors quel roman Quasiment inconnu en France, il bénéficie outre-manche et outre-atlantique d'un prestige monstrueux, considéré comme l'un des romans, si ce n'est LE roman de Science-fiction le plus abouti, le plus puissant, le plus monstrueux qui soit, bref, un véritable livre-culte...

De quoi parle ce roman au juste ? Au-delà de ce que laisse paraître le résumé, cette oeuvre est incroyable d'érudition, l'auteur semble jongler avec une facilité déconcertante avec les théories psycho-socio-linguistiques parues (et à paraître : il est expliqué dans la préface de Gérard Klein que, lorsque Mac Luhan - un théoricien réputé de la typographie - "apprenait tout juste à lire au jardin d'enfants [...] que Wolfe parsemait son roman des astuces typographiques, des "gimmicks", qui ont contribué à assurer la notoriété du bon docteur").

L'histoire part d'une théorie en psychologie selon laquelle la réaction est postérieure à l'action. En gros, la théorie classique (que l'on pourrait dire darwinienne) stipule que la réaction est antérieure à l'action - exemple : j'ai peur, donc je cours (pour m'enfuir). L'autre théorie stipule elle que l'on a peur parce que l'on court... En appliquant cela à la guerre, la théorie classique (darwinienne) serait "on a des bras et des jambes car on fait la guerre", la théorie alternative étant "on fait la guerre car on a des bras et des jambes" ; dans ce cas, pour éradiquer la guerre, faisons nous couper les membres, devenons Immobs (d'immobilisation). le roman est ainsi parsemé de slogans tels que

QUI A DES BRAS A DES ARMES,
DEUX JAMBES EN MOINS, UNE TETE EN PLUS,
PACIFISME EGALE PASSIVITE,
PAS DE DEMOBILISATION SANS IMMOBILISATION


Et tout ceci n'est qu'un aperçu de ce roman extraordinairement dense, une fois encore le genre de roman capable d'apporter une idées, une théorie nouvelle quasiment à chacune de ses pages.

C'est également un roman empreint d'un profond pessimisme, un roman noir, très noir...

Bref, c'est somptueux, mon gros coup de coeur.
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Attention au rouleau compresseur.

N'avons-nous pas été plus ou moins amoindri le jour ou encore enfant nous avons découvert qu'il existait un autre monde grignotant lentement nos perceptions primitives.

Une réalité cinglante s'insérant dans une souveraineté infantile indépendante et imaginative ne fonctionnant que par ses propres codes.

La chute de l'autarcie, découverte d'un monde Aristolicien dont les exclamations originelles entretiennent depuis des siècles le déploiement d'un verbe devenu saturé par son enfermement.

La compréhension de notre monde n'est elle pas tout simplement qu'une enveloppe sémantique de signes et de symboles devenus des mots et des phrases dont nous tissons l'univers et qu'il nous renvoie en signe d'allégeance.

Une syntaxe personnalisée sur toute
une série de perceptions auxquelles nous n'offrons qu'un même langage réactualisé ne faisant qu'entretenir nos dépendances.

Grace à sa nouvelle conception matérielle et organique, la cybernétique alliance de l'humain et de la machine rétablit par certaines de ses nouvelles possibilités l'enfant dans son environnement perdu.

Une union spatiale sans histoires ni paroles dans des envolées et des cabrioles prodigieuses le transportant à deux pas des étoiles.

L'homme s'ampute de ses membres naturels en transformant une violence ancestrale en de nouvelles affinités collectives uniquement basées sur la performance individuelle de nouveaux challenges qu'il a lui-même choisi.

Un cerveau lobotomisé de toute agressivité et de toute récupération thématique dans une association festive entre un esprit et son nouveau partenaire de jeux, un rajout métallique hyper performant que l'on maîtrise toujours par la raison.
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« Limbo » est considéré dans les pays anglo-saxons au même titre que « 1984 » de Georges Orwell ou « le meilleur des mondes » d'Aldous Huxley. Il est pourtant totalement inconnu des français. Il semblerait à cause d'une erreur d'édition. Il en résulte qu'un tout petit cercle d'aficionados connaisse cet ouvrage d'anticipation se déroulant 18 ans après une terrible troisième guerre mondiale et ou la philosophie d'Immob à prie le pouvoir. Cette philosophie antimilitariste peut se résumer ainsi :

Attention au rouleau compresseur !
La société, la machine, la guerre…
Soyez des pacifistes intégraux !
Faites vous couper les membres !

Slogan horrible, noir comme le livre.
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J'ai lu ce livre il y a très longtemps et j'ai souvent eu envie de le relire sans jamais le... retrouver. C'est grâce à ce site que je le redécouvre, merci Babelio! Lors de ma prmière lecture, j'avais été ahuri de découvrir la folie d'une société qui, à partir d'un texte prétendument "révélé", en vient à proposer à ses membres des comportements aussi radicaux et inadaptés. Mais n'est-ce pas le principe des religions? À lire et à méditer.
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La principale qualité de ce roman de science-fiction est son intrigue : le personnage principal, qui a déserté en pleine troisième guerre mondiale et s'est réfugié dans une île complètement isolée et inconnue du reste du monde, revient dans le monde "moderne" au bout de 20 ans... Et découvre avec effarement que les hommes ont adopté une nouvelle religion, l'Immob : se faire couper les quatre membres pour ne plus faire la guerre ! Une nouvelle religion élaborée à partir de quelques réflexions d'humour noir tirées de son journal intime, qui ont été prises au premier degré ! L'auteur, qui a écrit en pleine guerre froide, est profondément pessimiste, cette nouvelle religion n'évite évidemment pas la guerre, mais la porte à un niveau encore plus haut, car les amputés se dotent de membres artificiels plus performants que les naturels... La présentation de ce livre le compare à 1984 ou le meilleur des mondes... Pour ma part, il m'a beaucoup moins plu, et pour tout dire, il m'a même déplu, pour deux raisons : il est très bavard, et je me suis vite lassée des réflexions personnels du docteur Martine... Tout aurait pu être dit avec 200 pages de moins ! Autre gros défaut : le dénigrement des femmes du monde moderne (présentées comme dominantes et frigides) et les relations de personnage avec celles-ci, particulièrement machiste.
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Bernard WOLFE est l'auteur d'un unique roman, Limbo, publié aux Etats-Unis en 1952. Considéré comme une oeuvre culte par les amateurs de Science-Fiction américains, il est pourtant méconnu en France, bien que traduit et publié rapidement après son édition originale. Il est vrai qu'il avait été édité dans une collection de littérature générale, les amateurs de Science Fiction ayant alors ignoré son existence, les amateurs de littérature générale ayant pour leur part été perturbé par son sujet. C'est pourquoi Gérard KLEIN a décidé au début des années 70 de rééditer ce roman dans sa collection Ailleurs et Demain.
Qu'en est-il précisément ? de 1970 à 1972, la guerre russo-américaine n'était plus froide et la troisième guerre mondiale faisait rage. le Docteur Martine, jeune et brillant neurochirurgien, avait déserté pour trouver refuge sur une île coupée du monde au large de Madagascar. Là il a exercé ses talents au sein d'une tribu indigène dont il est devenu un membre estimé.
Dix-huit ans plus tard, une équipe d'athlètes aux membres curieusement remplacés par des prothèses ultra-perfectionnées, investit l'île le temps d'un séjour d'entraînement. de peur que sa retraite ne soit découverte, Martine se voit forcé de regagner incognito le monde qu'il a quitté depuis longtemps. Mais celui-ci a bien changé : Immob, la doctrine immobiliste qui le régit, proscrit formellement toute violence et invite chacun à se faire amputer des membres pour les faire remplacer par des prothèses amovibles et confiscables à la moindre intention belliqueuse. de ce fait, la guerre est un mal qui ne peut plus se reproduire puisqu'il est impossible de la faire sans bras ni jambes. Incrédule, Martine évolue dans cet univers et découvre avec effarement que ses propres travaux de jeunesse ont largement contribué à l'émergence d'Immob.
Le lecteur découvre donc en même temps que le Docteur Martine cet univers post-apocalyptique, la visite se faisant sur la base d'une prose de grande qualité parfaitement rythmée. L'objectif de WOLFE n'est toutefois pas le sensationnalisme mais la réflexion philosophique sur les fondements d'une doctrine qui a fait du pacifisme une valeur si fondamentale qu'elle passe avant l'être humain dans ce qu'il est physiquement. Et pour cela il utilise une multitude de références, de l'aristotélisme (l'homme se construit en tant qu'être physique) au freudisme (l'homme se construit en tant qu'être psychique), en passant par le manichéisme (le corps de l'homme est mauvais, son esprit est bon) ou encore le marxisme (ce sont les relations sociales de l'homme qui le construisent).
Mais que le lecteur potentiel se rassure, et on touche ici à la plus grande force de ce roman, Bernard WOLFE est si érudit qu'il parvient à intégrer ces éléments de réflexion dans son intrigue sans que celle-ci en soit rendue pesante. Bien au contraire, c'est sans s'en rendre compte que le lecteur est touché au plus profond de lui-même et est conduit à répondre par lui-même à la question de l'intérêt du pacifisme relativement à la passivité qu'il implique, et parfois même avec humour.
En pointant du doigt les effets pervers d'une humanité pacifiée, Limbo se pose en dystopie particulièrement fine. le roman est également une charge contre la pensée trahie, quand les théories scientifiques, ou même les idées couchées rapidement sur le papier, sont récupérées par les idéologues. Enfin, en montrant les contradictions du genre humain, Limbo se veut aussi un roman profondément humaniste.
Certains propos pourront certes paraître machistes, voire racistes. Il faut toutefois les resituer dans le contexte historique et social de rédaction du roman, et ne pas oublier que tout ce qui le compose par ailleurs est véritablement intemporel et fait de lui une oeuvre bel et bien exceptionnelle.
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Limbo de Bernard Wolfe. Son seul et unique livre. Unique livre considéré comme une référence en science-fiction. Encensé par pas mal de gens. Mais pas par moi.

Généralement la science-fiction ne fait pas du tout partie de mes genres de prédilection, mais j'avais envie de m'aventurer dans de nouvelles zones. C'est chose faite et le rouleau compresseur m'est passé dessus. La lecture de Limbo a été laborieuse, pénible et profondément soporifique. Si laborieuse que j'ai souvent eu l'idée d'abandonner l'histoire. Mais comme le dit si bien l'histoire : L'homme est un masochiste. A ce niveau la, je me suis vraiment bien imprégné de l'histoire en m'efforçant à lire une histoire qui ne me sied pas. Les bras m'en sont tombés, l'imob m'aura touché de manière indirecte. Non pas que j'aie, au final, abandonné l'histoire. Que nenni, je suis allé jusqu'au au des 700 pages et quelques. 700 pages pour ça. Mais comme je vais le répéter. L'homme est un masochiste.

En dehors des messages métaphoriques de l'auteur, des sens cachés du texte, des mots biscornus et autres joyeusetés, et bien je n'ai rien entravé à l'histoire. La somnolence immobile m'a drapé d'une chape de plomb. Certes, je reconnais avoir perçu quelques idées. Mais globalement, je me suis littéralement noyé dans un charabia post-apocalyptique qui ne me donne, à nouveau, pas envie d'en connaitre davantage à propos de la science-fiction.

Tout ça pour ça. Dommage.
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