De
Jack Vance, j'avais adoré les cycles de Tchaï et des Princes Démons. Je me faisais une joie de découvrir sa vision de la fantasy dans Lyonesse. J'en reviens très désappointé.
Lyonesse se compose de trois tomes : le Jardin de Suldrun, La Perle verte, et Madouc. le Jardin de Suldrun, dès l'entrée en matière, manque de dynamisme, en partie à cause d'un style de narration inadapté qui lorgne vers le conte pour petits enfants. Les déboires de la princesse Suldrun, passive et languissante, ne parviennent pas à capter l'intérêt. La seconde partie du tome, par contre, au long des aventures d'Aillas à la recherche de son fils Dhrun, est le meilleur morceau de tout l'ensemble. La déception refait surface avec La Perle verte : sans fil conducteur clair, elle égrène des péripéties disparates. L'épisode dans le monde de Tanjecterly, sur lequel elles s'achèvent, se traîne inutilement et rompt avec l'ambiance précédemment établie. Pour le dernier tome, Madouc, il commence sur la redite du Jardin de Suldrun : l'éducation fastidieuse d'une petite princesse. L'affaire est heureusement sauvée par le caractère véhément de l'impertinente Madouc. Plus tard, la quête de ses origines nous vaut quelques anecdotes distrayantes chez les habitants, somme toute assez peu accueillants, de la forêt de Tantrevalles.
Autant le dire, la narration de Lyonesse est généralement décousue. Très vite, l'impression se dégage, avec la plus grande netteté, que Vance n'a pas de plan préconçu et que son récit sinue au hasard de la plume. A l'exception des aventures d'Aillas et de Dhrun au premier tome, la tension narrative est presque absente. Plusieurs fois Vance se débarrasse gratuitement, sans ménagement, de protagonistes attachants, comme s'il ne savait qu'en faire ou qu'une fois utilisés, il les jetait à la poubelle. le sort des personnages restants perd alors en importance aux yeux du lecteur.
Malgré ces défauts, le livre se lit. C'est grâce à la verve et au style de
Jack Vance, à ses dialogues vifs, piquants, sursaturés de figures de rhétorique, à ses paysages ciselés de descriptions d'une réelle beauté. le point le plus impressionnant tient à l'originalité de l'évocation du monde de la magie. Là, l'imagination de Vance, réellement renversante, ne se permet pas la moindre banalité. Ses magiciens n'ont – presque - plus rien d'humain que les apparences et les simulacres avec lesquels ils se présentent aux autres habitants des Îles Anciennes ; leur connaissance des rouages de l'univers est si distante de la vision superficielle que partage le reste de l'humanité, que des mots comme temps, espace, vie ou conscience n'ont plus le même sens – si même ils en conservent un - pour eux.
A l'inverse, le point le plus gênant de l'oeuvre est une vision des relations entre sexes que l'on dira relativement démodée (c'est une litote). Par l'expression « conte de fées cruel », la quatrième de couverture vante-t-elle les répétitions d'épisodes où une fille à peu près pubère - plutôt moins que plus - est soumise aux assiduités, et cela à des degrés tout à fait variés, de mâles adultes et à peu près dépravés - plutôt plus que moins ? A plusieurs reprises, j'ai été choqué par ce que certains accepteront comme une forme spécifique de l'humour noir et - est-ce une sensibilité exacerbée de ma part ? - j'y vois surtout l'expression consternante du gâtisme naissant chez un vieillard égrillard – Vance écrit le Jardin de Suldrun à l'âge de soixante-sept ans.
En résumé, l'ouvrage, malgré quelques moments de brillance, ne parvient pas à captiver et à surprendre. La magie de Vance opère encore ; mais tout au long de Lyonesse, elle est diluée dans un récit qui manque trop de cohérence et de profondeur.