Il est très difficile de rédiger une critique sur le
Journal de
Marie Uguay, de faire part de ses impressions autant que de rendre compte en quelques lignes seulement des dernières années de la vie de la jeune poétesse québécoise, de tout ce qu'elle y consigne, y décrit d'espoir, d'attente, de profonde douleur aussi.
C'est en novembre 1977 que
Marie Uguay (elle a 22 ans) commence à écrire son
journal, peu de temps après son entrée à l'hôpital où elle a appris qu'elle était atteinte d'un cancer des os. Ce
journal n'est à l'origine pas destiné à être publié.
Marie Uguay n'en travaille donc pas la forme et se laisse aller à ses impressions. C'est en 2005, que Stéphan Kovacs, son compagnon des dernières années, entreprend de le faire publier.
"Ce que je redoute le plus n'est peut-être pas d'avoir de la peine, mais l'appesantissement de ma vie dans les certitudes, les complaisances, l'insensé (c'est-à-dire que ma vie s'appauvrisse de sens). Mais je ne crois pas que nous ayons la même définition du sensé et de l'insensé. Pour moi l'insensé est ce qui ne contient plus aucune part de mystère, d'éblouissement, d'indicible, ce qui ne prend qu'une seule apparence et la fixe. le sensé est ce qui est riche de multiples significations."
Jamais, dans les dernières années de sa vie
Marie Uguay n'aura autant ressenti l'emprise de la part d'insensé sur son existence, sur son travail d'écriture. Son
Journal révèle tout cet équilibre précaire, fragile, qu'elle essaie de maintenir en elle, cette quête incessante de sens, d'émerveillement, de conscience ouverte aux autres et au monde. Entre les moments de sérénité et ceux de découragement, de profonde solitude, elle aura essayé jusque dans ses derniers jours de rattacher sa conscience blessée, meurtrie, à l'écriture, à la poésie, pour gagner contre l'insensé de la maladie, de la mort qui annihile toute parole, toute pensée.
Ce qui m'a touché dans le
journal de
Marie Uguay, c'est cette prodigalité d'amour, cette quête incessante de reconnaissance qu'elle avait en elle. Dans le regard des autres, dans leurs mots autant que dans leur silence, dans leur présence autant que dans leur absence, dans la sensualité du souffle, de la voix, des gestes, elle écrit sur la passion amoureuse, sur les hommes qu'elle a profondément aimés, sur ses rêves d'ici (Montréal, les Îles-de-la-Madeleine, le lac Mégantic,...) et d'ailleurs (Paris et le Sud de la France) mais aussi sur la nécessité pour elle d'écrire, d'entretenir toujours ce lien ténu avec l'écriture poétique.
Dans les dernières minutes du film que lui a consacré Jean-Claude Labrecque fin septembre 1981, avec beaucoup d'émotion,
Marie Uguay utilise cette métaphore pour parler de ce qu'aura été sa vie : "Comme une roche qu'on jette dans l'eau, ça fait des ronds et le lac devient calme. Il n'y a plus rien à dire, plus rien à raconter. La roche, c'est moi qui me suis enfoncée dans l'existence. J'ai fait quelques ronds, des individus autour de moi m'ont reconnue, auront pleuré. Puis tout redevient calme, tout va s'effacer."
Un lac, une mer ou bien un océan, les ronds de la vie de
Marie Uguay se sont effacés de la surface de l'eau, mais il reste devant le regard et au coeur, toute l'étendue, calme et apaisée d'une poésie belle et émouvante, l'image d'une personne à part, tout le vaste horizon qui nous relie au sens de sa vie, de la vie.
"Si je pouvais ne pas tenir à vous, vous aimer lorsque vous êtes là, puis vous oubliez facilement. Et rire en chaque instant, c'est si court, si précieux l'existence. Si petit."