Quand il arrive à à Montagnola en mai 1919,
Hermann Hesse a 42 ans et il est en sursis. C'est pour lui l'opération de la dernière chance pour sa propre survie : les premières atteintes de schizophrénie chez sa femme, Maria Bernoulli, la mort du père, la grave maladie de son troisième garçon plongent l'écrivain dans une profonde dépression. Il écrit : "Je voyais s'effriter peu à peu tout ce qui avait été mon bonheur". La grande crise morale causée par le conflit mondial le contraint à "changer les fondations de toute sa pensée, et de tout son travail : J'avais compris qu'il n'y avait plus pour moi, moralement, qu'une seule possibilité d'existence : donner une priorité absolue à mon travail littéraire, ne plus vivre que pour lui et ne plus prendre au sérieux ni l'écroulement de la famille, ni mes gros soucis d'argent, ni quoi que ce soit d'autre. Si je n'y parvenais pas j'étais perdu".
A la Casa Camuzzi, à Montagnola, il ne fait venir de Berne que son bureau et ses livres et vit désormais seul et d'une manière presque clandestine. Sa tâche première est d'apprivoiser ce mal dont personne, pas même le disciple de Jung , ne semble capable de le guérir. Se fixer un peu durablement dans cette pratique de l'écriture constituerait une vraie méthode thérapeutique, il le devine. En tant qu'homme, il resterait toujours en défaut : sa femme internée, ses enfants en pension ou chez des amis et cette vie misérable, sans aucune perspective, qu'il s'est faite.
"Avec le temps, je n'ai pas seulement trouvé dans mon métier d'écrivain une voie qui m'aidât à me rapprocher de mon idéal de vie, mais ce métier s'est révélé comme étant presque une fin en soi. Je suis devenu un écrivain, mais je ne suis pas devenu un homme. J'ai atteint un but secondaire, pas le but principal. J'ai échoué." C'est dans cette situation d'échec absolu que Hesse a pris refuge au coeur du Tessin et s'est retiré du monde. Son malheur, sa misère matérielle, sont extrêmes. Quelques amis encore, en dépit de tout - et par delà les reproches qu'il pourrait légitimement se voir adresser, lui viennent en aide et lui permettent de survivre, c'est à dire de créer.
L'évolution est manifestement spectaculaire, et si Hesse connaît toujours certaines périodes d'abattement et de découragement, il goûte dans sa vie d'écrivain et sa vie d'homme, des moments de paix intérieure au contact de la nature.
C'est dans ce refuge, cette île qu'il aurait voulu bien plus déserte qu'elle ne l'était en réalité ( après guerre, le Tessin fut très prisé par les touristes, surtout allemands), qu'
Hermann Hesse écrit sans relâche , à un rythme soutenu : Klein et Wagner,
le Dernier été de Klingsor, Siddharta (1922),
le Curiste (1925),
le Loup des steppes,
le Voyage à Nuremberg (1927),
Narcisse et Goldmund,
le Voyage en Orient (1932),
le Jeu des perles de verre (1943).
A partir de 1927, il trouve un équilibre et un grand réconfort en la personne de Ninon Dolbin, originaire de la communauté juive, fervente admiratrice de ses oeuvres qui frappe à sa porte l'année de ses 50 ans. Il l'épouse en 1931 et ils s'installent dans une nouvelle maison, un peu à l'écart de Montagnola, que l'architecte et mécène Hans C. Bodmer a mis à leur disposition. Ils y séjourneront 31 ans, jusqu'à la mort d'
Hermann Hesse le 9 août 1962.
Lien :
http://rozven.hautetfort.com