La plupart des pièces de Tolstoï sont à charge contre le tsar, contre l'administration impériale, contre l'Eglise, aussi leurs représentations furent perturbées en Russie, ou censurées ou ajournées. Elles sont écrites à partir des années 1885 où le maître d'Iasnaïa Poliana est résolument radical. Ces pièces seront néanmoins publiées dans les Oeuvres complètes de l'auteur, certaines seront cependant jouées par des amateurs. Elles souffriront moins d'ostracisme de la part de Nicolas II que de celle de Alexandre III..
La pièce présente, indique l'éditeur, écrite en 1886, décline des scènes dramatiques qui furent écrites non pour être jouées, mais pour rendre plus vivant un récit à but moralisant.
Premier Tableau
(Devant la porte d'une église, des serviteurs tenant des chaises à porteur, attendent le seigneur et sa femme)
Scène 1
Premier serviteur
Et voilà ! il est allé à l'église !
Deuxième serviteur
Ce n'est pas trop tôt ! Depuis vingt ans que je suis à son service ; il n'y est pas allé une seule fois !
Troisième serviteur
Il veut faire pénitence, sans doute !
Premier serviteur
Il s'y prend tard ! Il a fait couler beaucoup de larmes ! Ila fait tuer Pierre, il a enlevé la femme de Siméon, la fille de Féodor. Il a torturé de pauvres gens ; on le maudit, mais lui ne fait que festoyer. Il boit du soir au matin, il chasse, se promène. Il ne fait jamais d'aumônes. Il ne laisse même pas entrer les mendiants dans sa cour. Comment Dieu tolère-t-il de tels péchés !
Deuxième serviteur
Penses-tu vraiment qu'il va se repentir ? Il n'est pas homme à faire cela ! IL profanera plutôt quelque chose dans l'Eglise ! (A ce moment des éclairs sillonnent le ciel et le tonnerre gronde.)
Grand Dieu ! Que se passe-t-il ? le ciel est pur et voilà qu'il tonne !
Scène II
(Un domestique sort de l'Eglise en courant)
Le domestique
C'est effroyable, ce qu'a fait notre Seigneur !
(Tout le monde entoure le domestique pour l'interroger)
Premier, deuxième, troisième serviteur
(Tous à la fois)
Qu'y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Vite, raconte !
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Le Seigneur
Ils ne veulent rien comprendre ! Ah ! ignoble racaille ! misérables ! Ecoutez un peu. Ecoute, toi. Tu ne crois pas non plus que je sois ton seigneur ? Donne-moi donc du papier, une plume et je vais t'écrire à ma dame ! Elle reconnaîtra mon écriture et j'ajouterai quelque chose encore qui n'est connu que d'elle et de moi.
Le vieillard
Assez bavardé ! Va-t-en. Fiche-moi le camp !
Le premier paysan
Après tout ! ben quoi ! qu'il écrive ! Emmenons-le au village. (Ils soulèvent l'irascible Seigneur et le portent au village)
Cinquième tableau
Scène I
(Une isba)
Le Seigneur
Oh ! que je suis las ! Mais pourquoi donc ne viennent-ils pas ? Ma noble épouse sera heureuse de me voir en vie. Ah ! Enfin ! voilà quelqu'un qui vient .
(Arrive un messager) ..
Le Seigneur
Me voilà enfin sur la bonne route ! maintenant je parviendrai chez moi. Une fois là-bas, je me ferai reconnaître. Personne ici ne veut croire que je sois le Seigneur ; on m'insulte et c'est tout ! Si je en dévoile pas qui je suis, on me fait la charité, mais dès que je le dis on me chasse. Tout ce long jour, je n'ai rien mangé. Bon ! Je ne dirai plus que je suis le Seigneur. (Tout en parlant, il s'approche d'une isba et frappe à la fenêtre.) Pitié, donnez-moi quelque chose à manger. (La fenêtre s'ouvre ; on voit dans l'encadrement apparaître une femme de paysan). Voyez-vous ça ! un mendiant ! Un mendiant, toi ? Tu n'as pas honte ? Tu es en bonne santé, valide, tu pourrais travailler et tu as le toupet de demander une aumône ?
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