Se penchant sur la gauche de la demoiselle dont il retient toujours en l’air la main qui écrivait, il approche son visage du sien et introduit une demi-phalange de pouce entre les lèvres d’Héloïse qu’il écarte au bord d’une commissure :
— Il faut bien ouvrir la bouche lorsqu’on dit le « A » d’Amo, j’aime...
— A...mo, répète l’élève en sentant contre sa langue le pouce doux du maître qui le retire pour lui frôler la gorge pendant que ses lèvres s’approchent des siennes puis restent là, en suspension, si près. Les mains s’effleurent. Les peaux se touchent. Les souffles se mêlent. Et dans la chambre, ce ne sont plus des paroles mais des soupirs qu’on peut entendre.
— Ouh, là, là !
Le bonheur se possède dans cette vie et pas dans une autre !
-Tout comme ça c'est déjà produit à Soissons après le dernier concile il y a huit ans, j'exige de le voir lui aussi brûler sur un bûcher... pour la amour de Dieu, bien sûr !
-Grillé comme un agneau de Pâques ? S'en régale d'avance le président en appétit qui se pourlèche les lèvres. Que vous avez souvent de bonnes idées, abbé de Clairvaux ! Un jour, vous serez canonisé, saint Bernard.
Ô ce jeu avec le feu et la nièce du chanoine ! Le précepteur affolé par l'élève d'Argenteuil, dans un mélange de désir érotique et d'inquiétude, se lève n'étant plus que l'ombre d'un grand nom et se disant : "Putain, le trône de saint Pierre s'éloigne ! "
Héloïse, ferme les fichets que tu as oublié de lacer. On voit ta peau par cette fenêtre des enfers.
Que ton Dieu m'en soit témoin, si Auguste, le maître de l'univers, m'avait jugée digne d'être son épouse et m'avait assuré la possession du monde entier, j'aurai trouvé plus précieux et plus digne de pouvoir être appelée ta putain plutôt que son impératrice.
- Mais qu'est ce qu'il rédige ?
- Un nouvel ouvrage qui aura pour titre Sic et Non (Oui et Non) où, sous forme de cent cinquante huit questions, il pointe toute les incohérences de la religion chrétienne.
Le catholicisme, dans cette oeuvre téméraire, s'effrite à grands pans de la philosophie d'Abélard (ça lui promet encore quelques emmerdes pas piqués des vers).
Comme pour la réchauffer, il pose sa main droite d'homme sur l'épaule gauche et arrondie de l'orpheline et glisse sa paume à la manière d'un foulard le long du bras d'Héloïse jusqu'à effleurer ses ongles fins.
En s'éloignant du presbytère, il ressent encore, telle une rémanence têtue, une vibration qui perdure au bout des doigts. Parce que le vent de la ruelle, lui faisant face, plaque contre son corps les plis de sa tunique qui se tend en un endroit, on devine qu'il bande et que ça lui pétille dans les couilles.
Lorsqu’on est marié, on ne s’appartient plus. L’autre a un droit de regard sur la façon dont on use de son propre corps. Je n’aime pas ça. Moi, je te veux libre ! Je préfère la amour au mariage, la liberté à la chaîne.
- Une amour de cette ampleur escalade le ciel !