Ce que j'aime chez B., c'est cette espèce d'innocence - et non de naïveté - qui fait qu'elle s'indigne de ce qu'elle trouve injuste. Que ne sont-ils tous comme elle ? Le monde marcherait sur ses deux jambes au lieu de marcher sur la tête.
Une seule personne osait se démarquer, par conviction, dérision ou plus sûrement par goût de jouer les esprits forts : " Heureusement que vous ne l'avez pas appelée Sapho, elle aurait été lesbienne", ironisait sa grand-mère Mathilde, qui avait des lettres et la plaisanterie facile, introduisant parfois une variante : " Vous croyez que si vous l'aviez appelée Isabelle, elle serait devenue catholique ?".
Enfin, elle allait reparaître sur scène, enfin elle allait revivre, oublier dans le décor du salon Grand Siècle les ignominies du XXe.
Moi, jalouse ! Comme si un diamant pouvait jalouser un zircon !
"Que leur vie eût été infime ou grandiose, peu importe, elle aurait été et on n'avait pas le droit de la leur prendre."
Savoir où on veut arriver ne dit pas comment faire pour y parvenir.
Les lois françaises étaient certes dictées par l'envahisseur, mais fallait-il les subir avec autant de résignation ?
Parfois dans la vie il y a des moments parfaits. Ce sont généralement des moments très fugaces, ils durent une seconde à peine mais ils sont vécus si fortement qu'ils s'impriment pour toujours dans une existence. Peut-être sont-ils aussi intenses parce qu'ils apparaissent à l'improviste, sans que rien ne les prépare ni n'annonce leur venue. Il ne s'agit pas de moments heureux, de périodes fastes comme en connaît toute vie, mais d'instantanés très courts où tout à coup vous savez avec certitude que tout est bien.
Une vie théâtrale normale en somme, où la guerre était loin, dans la Sarre par exemple ou en Moselle, où les villes du front ne constituaient que des dessins cartographiques désincarnés à la une des journaux, où les morts au champ d'honneur n'étaient qu'une liste de noms abstraits en troisième page.
Elle n’avait plus envie de parler. Ses mains étaient devenues moites en pensant aux comédiens qui allaient entrer en scène, qui se trouvaient là à deux pas, en coulisses, se préparant, regardant peut-être par un trou du rideau la salle se remplir peu à peu. Elle était avec eux, elle était de leur côté, leur trac était le sien. Sans s’en rendre compte, elle venait d’introduire le sacré dans cette enceinte rouge et or.