Troisième roman de Steinbeck que je dévore (malgré la piètre qualité d'imprimerie de mon édition Folio…), troisième atmosphère distincte : celle de la
Rue de la sardine, ses ambiances, ces personnages. « Mais comment les saisir sur le vif ? », se demande l'auteur dans une introduction grouillante de vie et de couleur. C'est ce qu'il s'escrimera à réaliser durant ces 200 pages, que je ne saurais mieux vous résumer qu'avec ses propres mots :
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«
La Rue de la Sardine à Montery en Californie, c'est un poème ; c'est du vacarme, de la puanteur, de la routine, c'est une certaine irisation de la lumière, de la nostalgie, c'est du rêve.
La Rue de la Sardine, c'est le chaos. Chaos de fer, d'étain, de rouille, de bouts de bois, de morceaux de pavés, de ronces, d'herbes folles, de boîtes au rebut, de restaurants, de mauvais lieux, d'épiceries bondées et de laboratoires. Ses habitants, a dit quelqu'un, ce sont des filles, des souteneurs, des joueurs de cartes et des enfants de putains ; ce quelqu'un eut-il regardé par l'autre bout de la lorgnette, il eût pu dire : ce sont des saints, des anges et des martyrs, et ce serait revenu au même. » (incipit)
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C'est exactement ça ! La première impression sur les personnages vient d'un regard extérieur, la seconde vient du lecteur de ce roman qui apprendra à les connaître. J'ai vibré avec Mack et sa bande de marginaux débrouillards, qui ont négocié un hangar auprès de l'épicier Lee pourtant si dur en affaires, chez qui en échange ils ont arrêté de voler leur nourriture ; J'ai appris à pêcher dix mille grenouilles dans la marre d'un officier, lui siffler son whisky et l'un de ses chiots, puis à échanger à l'épicier les grenouilles contre de quoi offrir une surprise-party à ce bon vieux Doc qui est toujours là pour la communauté ; j'ai regardé cette fête mal tourner, comme tout ce qu'entreprend Mack et sa bande de marginaux qui ont, pourtant, toujours les meilleures intentions du monde et une imagination bien trop débordante à maîtriser. J'ai regardé des gens aménager dans une chaudière et des tuyaux (?!), des écureuils déménager par manque de gonzesses, j'ai observé la communauté rejeter les siens puis pardonner, j'ai vu des gens se battre et d'autres se soigner.
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(En chuchotant :) Je vous fais une confiance, vous le gardez pour vous mais j'ai aussi entendu des gros balèzes pleurer devant un dernier poème, et j'ai moi-même été attendrie par cette communauté loufoque, soudée mais libre, qui provoque des (més)aventures improbables, où chacun tente de se débrouiller avec son business tout en respectant celui qu'il tente d'arnaquer pour survivre, où les personnages nouveaux sont intégrés dès qu'ils font le premier pas, et où on ne pleure pas ceux qui disparaissent sans explication. C'est juste la vie, et tant que les gars sont là et qu'ils sont réglo avec vous, vous donnez en retour, sans arrière pensée, sans calcul - même si parfois ça fait tourner la mayo. Cette franche camaraderie qui ne cherche pas à retenir mais donne en permanence de soi même dans la pauvreté crasse, en même temps qu'elle prend sans se gêner ou presque, va me manquer en refermant ces pages.
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Merci pour ces rencontres, Monsieur Steinbeck, ces potes attachants qu'il vaut mieux connaître en roman qu'en vrai, mais qui me marqueront pourtant. Votre
Rue de la Sardine, en effet, est tout un poème et bien plus que cela encore.
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« Même à présent,
Je sais que j'ai goûté la haute saveur de cette vie,
Que j'ai vidé les vertes coupes, au grand festin.
A peine le temps d'une vie
J'ai entrevu ma bien-aimée. Et j'ai vu son corps déployer
Le flot de l'éternelle lumière. »