Lorsque Callum demande à son grand-père allemand ce qu'il a vécu en Russie pendant la Seconde Guerre mondiale, ce dernier ne dit rien. Sur le moment, en effet, cette question le met tellement en colère par sa stupide maladresse qu'il ne daigne pas répondre. Mais aussi, à dire vrai, il se trouve dans l'incapacité de se souvenir distinctement des expériences extrêmes qui ont été les siennes pendant cette période et qu'il refoule depuis des années. Toutefois, la mémoire lui revient tranquillement et, des mois plus tard, il décide de prendre la plume pour écrire à son petit-fils dans une longue lettre les souvenirs qui affluent. Il raconte ainsi les visages oubliés depuis des décennies, la sensation de faim qui dévore le corps et l'esprit, mais aussi, et surtout, les épisodes traumatisants auxquels il a dû faire face et auxquels il n'a volontairement pas pensé pendant longtemps.
Par son récit, Meissner tentera de répondre à la question subjacente de son petit-fils, à savoir : est-il coupable?
Ce roman, j'avais très envie de le lire pour tenter, peut-être assez naïvement, de savoir comment les Allemands d'aujourd'hui se sentaient face aux horreurs qui ont été commises par leur pays durant la Deuxième Guerre mondiale. Comment vivent-ils face au poids de cette partie de leur histoire? Bien que fictif, le témoignage de Meissner apporte une réponse lucide et complexe qui porte indiscutablement à réfléchir, en particulier sur la notion de culpabilité.
Cette réponse, cependant, même lui ne la connaissait que confusément avant de la formuler. C'est pourquoi il a choisi de commencer sa lettre en restituant le contexte de la guerre à l'Est dans laquelle il a été entraîné à la fin de l'année 1944. Cette guerre, très différente de celle à l'Ouest, a été particulièrement cruelle et impitoyable.
En partant de ce contexte, le vieil homme raconte une série d'événements brutaux et marquants qui leur sont arrivés à ses compagnons et lui. Ces épisodes sont absolument renversants et il est difficile de poser le livre avant d'en avoir terminé la lecture. Les scènes, presque irréelles, défilent rapidement et attestent toutes de la distinction que s'efforce de faire Meissner entre les soldats allemands et les soldats nazis. Leur situation à eux, sur le terrain à ce moment-là, avait tout à voir avec celle de n'importe quel autre soldat (russe, polonais, français…) et bien peu à voir avec celle des soldats nazis qui se trouvaient dans les camps de concentration par exemple. Cette différence, même si elle est importante, ne le blanchit pas, mais elle fait inévitablement partie de sa réflexion (et de la nôtre!).
À travers les pages de ce roman, l'auteur restitue donc parfaitement la froide violence dont les soldats peuvent faire preuve en temps de guerre. Il arrive à nous faire plonger dans un décor à ciel ouvert puant la mort et étouffant de cruauté. Mais surtout, il rend compte avec une grande sensibilité de la souffrance, bien souvent tue et ce encore aujourd'hui, de ces soldats allemands qui ont perdu beaucoup plus que la guerre en 1945. Ces derniers, entre autres, ont dû faire face à une amère désillusion lorsqu'ils ont compris l'ampleur de la débâcle de leur pays. Ils ont dû renoncer à une certaine idée qu'ils se faisaient d'eux-mêmes et tâcher d'apprendre à vivre avec la culpabilité et la honte engendrées par les atrocités perpétrées par l'Allemagne :
« Les choses étant ce qu'elles étaient, nous en étions venus à comprendre, ou j'en étais venu à comprendre, que nous étions en tort. Cette vérité nous était assénée par la mort de nos amis et le viol de nos femmes. Et l'énormité de notre crime nous obligeait à admettre que le châtiment, quoique terrible, n'était pas inique. »
En déployant ainsi de nombreuses phrases percutantes,
Alexander Starritt nous offre un roman riche et intense. Et grâce à des touches d'humour savamment dosées, ce livre n'est nullement accablant malgré la gravité de son sujet. Mon seul bémol (qui n'en est pas un réellement) est que j'en aurais pris davantage!
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