Que valent nos avis ? Pas grand-chose !...
Ma première rencontre avec le grand Shakespeare remonte aux temps chéris — autant que révolus — de ma fragile innocence, de ma fringante jeunesse sous le ciel immaculé de mes vingt-deux ans. Ce fut avec Hamlet que la rencontre se fit et je lus Hamlet, donc, et il ne me plut point. J'en gardais alors le souvenir d'une déconvenue, de beaucoup de bruit pour rien, d'un texte aux couleurs fades et aux contours ampoulés, bref, d'un redoutable ennui.
Je ne me sentais pourtant pas moins vive en ce temps-là, ni moins prompte à m'enflammer, ni moins sensible aux choses du verbe que je ne le suis actuellement, or — oui or, car il y a un or — or, donc, je ne fus point séduite par le verbe de naguère, qui n'est point si distant, je crois, du verbe de maintenant. Seule ma culture dramatique était à un seuil dramatiquement bas.
Aujourd'hui, forte de quelques plis supplémentaires au coin des yeux et de deux ou trois tragédies ramassées deci-delà sur mon parcours, prise d'un légitime regret je me relance à l'abordage de cette oeuvre.
Certes j'ai pris quelque temps et mis quelque zèle à choisir une traduction qui puisse me convenir. C'est sur celle d'André Marcowicz que j'ai jeté mon dévolu cette fois (l'autre fois c'était celle de François-Victor Hugo).
Et alors ? C'est le jour et la nuit. (Chapeau pour cette traduction Monsieur Marcowicz !) Je n'en reviens pas. Comment peut-on, étant la même personne, ressentir les choses aussi différemment à quelques années d'écart ?
J'ai adoré la légèreté, l'humour, la finesse, la profondeur, la qualité d'écriture de l'ensemble de la pièce (pas trop le final cependant). C'était un autre Hamlet et celui-là j'en garderai un souvenir ému et chaleureux.
Comment vous dire ?... Il y a des poussières d'Hamlet disséminées tellement partout que c'est à peine si j'ose, que je ne sais par où le prendre. Peut-être par le plus futile de tous ? Pourquoi pas ?
Les clins d'oeil à Hamlet sont fréquents dans les oeuvres destinées à la jeunesse.
Goscinny s'en donne à coeur joie dans l'album La Grande Traversée (Parodiant la réplique de Marcelus de l'acte I, le chef viking Øbsen dit en regardant un crâne : « Il y a quelque chøse de pøurri dåns mon røyåume… » Kerøsen quant à lui dit : « Suis-je un décøuvreur øu ne le suis-je pas ?... Être øu ne pås être, telle est lå questiøn… »). de même, tout le scénario du film de Walt Disney le Roi Lion est une resucée quasi-intégrale de la trame d'Hamlet. Même le fantôme du vieil Hamlet apparaissant à son fils a son pendant dans le film. Chez les écrivains un peu plus chevronnés, on peut mentionner que Rudyard Kipling, dans son ouvrage destiné à la jeunesse Histoires Comme Ça, a inséré le fameux poème « IF » qui est très largement inspiré de la tirade de Polonius (Acte I, Scène 3).
Dans la littérature dite adulte, Hamlet, en époux volage, a aussi fait des petits un peu partout (par exemple, la fameuse scène hilarante du chapitre XXXI des Grandes Espérances de Charles Dickens). Mais c'est quoi Hamlet ? À quoi ou à qui peut-il nous faire penser ?
Tout d'abord, si l'on s'intéresse à sa filiation, et l'on sait à quel point Shakespeare était féru de tragédie grecque, on y voit une ascendance très nette en la personne d'Oreste. Lui aussi est fils d'un roi qui s'est fait trucider et dont la mère s'est remariée au nouveau souverain usurpateur. (Oreste, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, frère d'Électre ne supporte pas l'assassinat de son père et décide de devenir le meurtrier de sa mère qui a fomenté le régicide.)
Le thème de la trahison, du doublage par un frère (le vieil Hamlet est assassiné par son frère Claudius) est un thème qui semble fort et important pour l'auteur (cf. Le Roi Lear, Jules César, etc.), c'est d'ailleurs le corps de l'ultime drame de Shakespeare, La Tempête, où Prospero a échappé in extremis à la mort et s'est fait subtiliser le trône par son frère.
Le thème de la mort, ou plus particulièrement de l'inutilité de la vie, est également un sujet de prédilection du grand dramaturge anglais et qui figure au coeur d'Hamlet, d'où cette fameuse tirade du « être ou ne pas être ».
Mais si tout cela est vrai et fort, ce qui me semble plus fort et plus évident que tout — et qui m'avait totalement échappé à la première lecture — c'est la réflexion sur le théâtre qui est contenue dans cette tragi-comédie et c'est la théorie que je vais défendre ci-dessous.
Pour bien analyser la question, observons l'architecture, la structure de l'oeuvre :
Acte I — révélation du meurtre de son père à Hamlet et de l'usurpation de son trône. Hamlet est par conséquent renvoyé à un rôle subalterne.
Acte II — la « folie » d'Hamlet, prise de position sur le théâtre et mise en abîme (le théâtre montre le théâtre). Révélation du stratagème du « théâtre » du roi et de la reine pour cerner Hamlet dans ses amours. Mise en évidence d'un double discours dans ce « théâtre ». Incompréhension d'Hamlet et d'Ophélie.
Acte III — Hamlet, à son tour, utilise le stratagème du théâtre. le théâtre apparaît alors en tant que révélateur de la vérité de l'âme humaine derrière les apparences. Révélation de leur propre trahison au roi et à la reine. Assassinat par Hamlet de Polonius, le courtisan intéressé et qui s'était caché.
Acte IV — le pouvoir veut emmener Hamlet en Angleterre pour le tuer. Réapparition de Laërte, fils de Polonius, sorte de dédoublement d'Hamlet, qui lui aussi veut venger la mort de son père.
Acte V — On en a oublié Ophélie qui meurt sans qu'on s'en soit trop occupé, on ne sait que la pleurer. Réflexion sur la mort à l'occasion de l'enterrement d'Ophélie. Combat organisé par le roi entre Hamlet et Laërte. Mort des deux opposants qui entraînent dans leur fin celle du roi.
Voilà, très grossièrement l'ossature de la pièce. Permettez-moi simplement maintenant de vous dire ce que ces personnages m'évoquent :
Hamlet, C'EST le théâtre, dans l'acception la plus noble du terme. C'est lui le révélateur, c'est lui qui voit clair dans le jeu orchestré par le roi et c'est lui qui est déchu par la vilenie du pouvoir.
Le roi symbolise évidemment le pouvoir, en tant qu'autorité qui muselle l'activité artistique de peur qu'elle ne montre trop explicitement ses propres exactions.
Laërte, c'est l'autre théâtre, le théâtre d'état, le théâtre qui dit ce que le roi veut entendre, celui qui est aux bottes du pouvoir.
Les deux théâtres se livrent une lutte à mort, et qui est sacrifié au milieu d'eux ? le public, évidemment, et ici le public est symbolisé par Ophélie, qui devient folle.
La reine représente la conscience, la morale à qui l'on a tordu le cou pour avaler des couleuvres.
Polonius représente les seconds couteaux, le peuple nombreux des courtisans hypocrites qui lèchent les savates de tout pouvoir, quel qu'il soit, et qui se font étriller par le théâtre (pensez aux bourgeois, aux savants ou aux religieux chez Molière, par exemple) car si l'on ne peut taper sur le pouvoir, on peut tout de même se faire la main sur les courtisans. Mais on peut aussi (et surtout) voir dans Polonius, l'archétype du puritain (voir les conseils qu'il donne à son fils), très en vogue et toujours plus près du pouvoir à l'époque de Shakespeare.
Et la moralité de tout cela, c'est qu'un pouvoir qui n'est pas capable de se regarder en face sous le révélateur, sous le miroir de vérité qu'est le théâtre, tellement il a honte de lui-même est voué à disparaître.
Pour conclure, si l'on recontextualise la genèse de cette pièce avec les événements historiques dont l'auteur était le témoin, ce qu'il faut voir dans Hamlet, ce n'est ni une tragédie (ou tragi-comédie), ni un quelconque message métaphysique, mais bien plutôt une supplique politique pour maintenir les théâtres publics élisabéthains et leur liberté d'expression face aux attaques toujours plus virulentes des puritains qui essaient d'imposer leur théâtre moralisateur. On sait par ailleurs que les craintes de Shakespeare étaient fondées car les puritains obtiendront gain de cause avec la fermeture des théâtres publics en 1642 (notamment le Théâtre du Globe où était joué Shakespeare).
Vu comme cela, cette pièce est absolument lumineuse, forte, pleine de sens et de désillusions, bref, essentielle. Une oeuvre, donc, qu'il faut absolument lire, mais, comme je l'ai expérimenté moi-même, peut-être pas trop tôt et pas sans s'être muni au préalable d'une petite patine en matière de théâtre, du moins c'est mon minuscule avis face à cette immense pièce, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Tout arrive : j'ai enfin lu Shakespeare ! Après trente ans à hésiter et me rencogner, je dois dire que la découverte d'Hamlet fut une belle surprise.
Pour ce qui est de l'histoire, je laisse à Horatio, fidèle d'Hamlet, le soin de dire de quoi il retourne : « Vous entendrez parler d'actes charnels, sanglants, contre nature ; d'accidents expiatoires ; de meurtres involontaires ; de morts causées par la perfidie ou par une force majeure ; et, pour dénouement, de complots retombés par méprise sur la tête des auteurs. »
Imposant programme. D'autant que dans Hamlet il est aussi question de trahison, de vilénie, de courtisanerie affligeante. Mais encore et surtout des affres du jeune Hamlet, ravagé de haine envers son oncle, de rancoeur envers sa mère qui l'a épousé et d'envie de venger son père assassiné mais n'osant passer à l'acte.
Le plus surprenant pour mon oeil neuf à l'univers de Shakespeare, c'est l'humour, qui émaille la pièce entre deux tirades fabuleuses tout comme ces scènes aux accents gouailleurs et populaires, dans un joyeux mélange des genres. On y sent un théâtre très vivant, plein des bruits de la vie, bien loin du solennel empesé que j'imaginais.
Et comme je pressens à cette première lecture qu'Hamlet est une oeuvre à tiroir, avec des pièces dans la pièce ouvrant sur de multiples interprétations, je prévois déjà de le relire un jour, certaine que s'ouvriront lors des prochaines lectures de nouvelles portes sur de nouveaux plaisirs
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Il y a quelque chose d'alambiqué dans l'édition de Hamlet.
D'après Pierre Iselin, qui signe la préface de mon exemplaire, il existe en effet trois Hamlet : un « premier Hamlet » de 1603, un « second Hamlet » de 1604, le plus long et le plus connu, et une version de 1623. le premier est apparemment une pièce en un acte mais 18 scènes. Toujours d'après Iselin, il s'agirait d'une version reconstituée de mémoire par des acteurs de la troupe. La version de 1623 serait quant à elle la version la plus proche de celle jouée du temps de l'auteur.
J'ai les deux premières versions, mais n'ai lu que la seconde. Les spectres, ça va un moment.
Bon je parle à tort et à travers et n'ai même pas un crâne à qui déblatérer mes âneries ; juste un paquet de Kleenex devant moi, ça fait pas pareil.
Et à part ça, c'était bien ?
Oui et non.
Mais encore ?
Encore ? Oui et non.
Non, abruti, développe ! Ya des gens qui essaient de te lire là !
Ah bon ? Les pauvres ! Bon, allons-y gaiement alors ! le fond de l'histoire est éternel et omniprésent, commun à tous les récits, point invariant de toutes les transformations s'appliquant à l'ensemble multidimensionnel des histoires : un roi gouverne (le père de Hamlet qui est aussi un Hamlet), il est assassiné (par le frère du roi qui devient le ROI) et la reine reste reine car elle se console dans les bras de l'usurpateur (tsss, on se croirait dans la savane chez les lions). le fils Hamlet n'a dès lors qu'une idée : venger son père.
C'est tout. Remballez.
…
Bon, je continue devant tant d'insistance. le génie de Shakespeare m'est à nouveau apparu comme le spectre à Horatio. Il faut voir la pièce comme une bataille psychologique où chacun emploie des tactiques pour découvrir l'adversaire. le ROI se demande : Hamlet est-il fou ? Quelle est la raison de sa folie ? Fait-il semblant ? Est-il un danger pour moi ? Et avec l'aide de son chambellan Polonius – un personnage indispensable tellement il met de vie dans la pièce, même quand il meurt – il va chercher à piéger Hamlet. de son côté, le prince ne veut pas se contenter de la parole du spectre de son père qui se dit assassiné par le présent ROI. Il veut une preuve physique, du genre qui condamne direct dans les tribunaux. Et il monte ses propres plans avec l'aide d'une troupe de comédiens afin de subjuguer le ROI.
Jusque-là c'est class ! Un suspense d'enfer, car le spectateur est autant ignorant des vérités.
Jusqu'à ce que, au cours d'une courte tirade « à part », le ROI dévoile sa culpabilité au public.
MAIS POURQUOI IL FAIT ÇA ?
Ventrebleu ! le suspense d'enfer s'étiole comme un tournesol privé de soleil. On retombe dans le classique. On sait que le ROI est un assassin. Il se persuade que Hamlet sait. Il veut l'éloigner en Angleterre. En réalité il veut le faire buter.
Qui dit bataille, psychologique ou pas, dit victimes collatérales. C'est le cas de la pauvre Ophélia qui se fait balader par le vrai/faux amour de Hamlet, qui entre comme un brave pion dans le jeu d'échec du côté des noirs (le ROI et son père Polonius). Elle en prend plein la tronche et en perd la tête. Elle ressemble à la brave Rosette de « On ne badine pas avec l'amour » De Musset. Son père sera aussi pris pour un rat et ira servir de plateau repas aux vers du cimetière à côté.
La dernière partie est un festival de plan de meurtre, de coups d'épée, de poison, de faux-semblants, d'honneur perdu et retrouvé. Un beau petit carnage en vers ; oui, les vers seront à nouveaux contents (bon, en fait c'est en prose mais comme ça gâchait mes effets, hein, vous me pardonnerez cette licence poétique). C'est surjoué, c'est certainement irréel. C'est du théâtre quoi, comme il faut l'aimer!
A part le truc du suspense dévoilé trop tôt, il y a des trucs que j'ai pas trop aimé ?
Oui, les longueurs, surtout les trop longues tirades de Hamlet qui m'ont souvent incité à prendre le fameux raccourci de la diagonale. Cette pièce – cette version de la pièce – est trop longue.
Pitich ! Déjà presque deux pages de blabla. Mais je crois avoir atteint mon but.
Vous trouvez que j'ai fait trop long ? C'est un hommage à Hamlet.
Vous trouvez que c'est une critique décousue ? C'est un hommage à Hamlet.
Vous avez envie de me passer une épée en travers du corps ? C'est un hommage à Hamlet.
Sur ce je vous laisse. Je vais essayer d'être pour répondre à la question du Prince.
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Inutile de présenter le Danois le plus célèbre de la littérature, dont l'histoire a inspiré de nombreux écrivains - jusqu'aux studios Disney avec le Roi Lion!
Si je commence à me sentir "familière" dans la lecture des tragédies shakespeariennes, je dois admettre que celle-ci est sans doute l'une des plus (si ce n'est la plus) ambitieuse. Avec tous ces destins mis en regard et la pièce dans la pièce, on peut tirer notre chapeau au Barde.
Certes, on sent dans la noirceur et la violence de cette pièce l'influence de l'ère jacobéenne, mais l'évolution est intéressante !
J'admets, comme certains lecteurs avant moi, avoir trouvé quelques longueurs dans la lecture de la pièce. Toutefois, les jeux de dupes où chacun utilise l'autre, les magnifiques tirades sur la mort, l'honnêteté, ... l'emportent assez largement sur les moments plus creux de la pièce.
Le point que je retiens également, c'est que contrairement aux autres tragédies sur le pouvoir, la cupidité et la soif de pouvoir (et de sang) inextinguible des puissants, avec ce héros au double visage - pour lequel on ne sait finalement plus faire la part des choses entre ce qu'il feint et sa parole désinhibée par le chagrin et a colère - le dramaturge a mis en scène un état dépressif, montrant ainsi à quel point chacun d'entre nous est bien petit face au deuil d'un être cher et notre impuissance face à la Faucheuse. Malgré les bains de sang et l'énergie qu'il déploie dans ses plans de vengeance, Hamlet n'en reste pas moins un homme démuni et dépassé par ses émotions et pulsions contradictoires.
Les sujets britanniques peuvent bien mépriser l'étalage des sentiments et ceux qui ne savent les contrôler, il n'en reste pas moins qu'ils ne peuvent s'empêcher de les prouver - une petite leçon de modestie par Sir Shakespeare !!
Ceci dit, cela ne détrônera pas - pour moi - le roi Lear !
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