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Critique de Satine


Cette comédie légère écrite vers 1599 a été inspirée à Shakespeare par un roman de Thomas Lodge « Rosalynde or Euphues' golden legacie ». Shakespeare y a trouvé son héroïne et une excellente analyse de l'amour chez une jeune fille. le décor est la forêt des Ardennes où Thomas Lodge place aussi ses personnages.

Résumé : Rosalinde, fille du duc banni, fuit avec sa cousine Célia, fille du nouveau duc Frédéric, dans la forêt des Ardennes dans l'espoir de retrouver son père. Pour éviter toute agression, elles se vêtissent en habits d'homme et vont faire diverses rencontres.

Si les premières pages mettent en avant la rivalité entre deux couples de frères Orlando / Olivier et les deux ducs, le thème majeur de cette comédie est bien évidemment l'amour. Mais l'amour sous différentes formes : l'amour père-fille déjà vu dans le roi Lear, l'amour homme-femme romantique et véritable comme dans Roméo et Juliette mais aussi l'amour que je qualifierais de « nécessaire » interprété ici par un clown et une paysanne et des bergers.
Tout comme dans le marchand de Venise, la femme a ici une place prépondérante et Rosalinde va avoir un rôle majeur, déterminant. Shakespeare sait à nouveau si bien décrire la passion féminine, nos attentes, nos désirs qu'on le lit avec enthousiasme. Il proclame des répliques féministes qui mettent en lumière la beauté et l'intelligence féminines et offre même un épilogue à son actrice principale Rosalinde.
Je vous livre bien entendu avec joie cette ode à la femme mais aussi quelques échanges plutôt drôles.

Acte II Scène 7 :
Jacques (seigneur ayant suivi le duc banni) : le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Tous ont leurs entrées et leurs sorties, et chacun y joue successivement les différents rôles d'un drame en sept âges. C'est d'abord l'enfant vagissant et bavant dans les bras de la nourrice. Puis, l'écolier pleurnicheur, avec sa sacoche et sa face radieuse d'aurore, qui, comme un limaçon, rampe à contrecoeur vers l'école. Et puis, l'amant, soupirant, avec l'ardeur d'une fournaise, une douloureuse ballade dédiée aux sourcils de sa maîtresse. Puis, le soldat, plein de jurons étrangers, barbu comme le léopard, jaloux sur le point d'honneur, brusque et vif à la querelle, poursuivant la fumée réputation jusqu'à la gueule du canon. Et puis, le juge, dans sa belle panse ronde garnie d'un bon chapon, l'oeil sévère, la barbe solennellement taillée, plein de sages dictons et de banales maximes, et jouant, lui aussi, son rôle. le sixième âge nous offre un maigre Pantalon en pantoufles, avec des lunettes sur le nez, un bissac au côté ; les bas de son jeune temps bien conservés, mais infiniment trop larges pour son jarret racorni ; sa voix, jadis pleine et mâle, revenant au fausset enfantin et modulant un aigre sifflement. La scène finale, qui termine ce drame historique, étrange et accidenté, est une seconde enfance, état de pur oubli ; sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien.

Acte III Scène 2 :
Pierre de Touche (le clown) : Eh bien, si tu n'as jamais été à la cour, tu n'as jamais vu les bonnes façons ; si tu n'as jamais vu les bonnes façons, tes façons doivent être nécessairement mauvaises ; et le mal est péché, et le péché est damnation. Tu es dans un état périlleux, berger.
Corin (berger) : Point du tout, Pierre de Touche. Les bonnes façons de la cour seraient aussi ridicules à la campagne que les manières de la campagne seraient grotesques à la cour. Vous m'avez dit qu'on ne se salue à la cour qu'en se baisant les mains : cette courtoisie serait très malpropre, si les courtisans étaient des bergers.
Pierre de Touche : La preuve, vite ! Allons, la preuve !
Corin : Eh bien, nous touchons continuellement nos brebis, et vous savez que leur toison est grasse.
Pierre de Touche : Eh bien, est-ce que les mains de nos courtisans ne suent pas ? Et la graisse d'un mouton n'est-elle pas aussi saine que la sueur d'un homme ? Raison creuse, raison creuse ! Une meilleure, allons !
Corin : En outre, nos mains sont rudes.
Pierre de Touche : Vos lèvres n'en sentiront que mieux le contact. Encore une creuse raison ! Une plus solide, allons !
Corin : Et puis elles se couvrent souvent de goudron, quand nous soignons notre troupeau : voudriez-vous que nous baisions du goudron ? Les mains du courtisan sont parfumées de civette.
Pierre de Touche : Homme borné ! Tu n'es que de la chair à vermine, comparé à un beau morceau de viande. Oui-da ! Ecoute le sage et réfléchis : la civette est de plus basse extraction que le goudron, c'est la sale fiente d'un chat. Une meilleure raison, berger !
Corin : Vous avez un top bel esprit pour moi !
Pierre de Touche : Veux-tu donc rester damné ? Dieu t'assiste, homme borné ! Dieu veuille t'ouvrir la cervelle ! Tu es bien naïf !
Corin : Monsieur, je suis un simple journalier ; je gagne ce que je mange et ce que je porte ; je n'ai de rancune contre personne ; je n'envie le bonheur de personne ; je suis content du bonheur d'autrui, et résigné à tout malheur ; et mon plus grand orgueil est de voir mes brebis paître et mes agneaux téter.
Pierre de Touche : Encore une coupable simplicité : rassembler brebis et béliers, et tâcher de gagner sa vie par la copulation du bétail ; se faire l'entremetteur de la bête à laine, au mépris de toute conscience, livrer une brebis d'un an à un bélier cornu, chenu et cocu ! Si tu n'es pas damné pour ça, c'est que le diable lui-même ne veut pas avoir de bergers ; autrement, je ne vois pas comment tu peux échapper.

Poème écrit par Orlando pour Rosalinde :
J'attacherai à chaque arbre des langues qui proclameront des vérités solennelles :
Elles diront combien vite la vie de l'homme parcourt son errant pèlerinage ;
Que la somme de ses années tiendrait dans une main tendue ;
Que de fois ont été violés les serments échangés entre deux âmes amies.
Mais, sur les branches les plus belles et au bout de chaque phrase,
J'écrirai le nom de Rosalinde, pour faire savoir à tous ceux qui lisent
Que le ciel a voulu condenser en elle la quintessence de toute grâce.
Ainsi le ciel chargea la nature d'entasser dans un seul corps
Toutes les perfections éparses dans le monde.
Aussitôt la nature passa à son crible la beauté d'Hélène, sans son coeur,
La majesté de Cléopâtre, le charme suprême d'Atalante, l'austère chasteté de Lucrèce.
Ainsi de maintes qualités Rosalinde fut formée par le synode céleste :
Nombre de visages, de regards et de coeurs lui cédèrent leurs plus précieux attraits.
Le ciel a décidé qu'elle aurait tous ces dons, et que je vivrais et mourrais son esclave.

Acte III Scène 3 :
Audrey (paysanne) : Je ne sais point ce que c'est que poétique. Ca veut dire honnête en action et en parole ? Est-ce quelque chose de vrai ?
Pierre de Touche : Non, vraiment ; car la vraie poésie est toute fiction, et les amoureux sont adonnés à la poésie ; et l'on peut dire que, comme amants, ils font une fiction de ce qu'ils jurent comme poètes.
Audrey : Et vous voudriez que les dieux m'eussent faite poétique ?
Pierre de Touche : Oui, vraiment, car tu m'as juré que tu étais vertueuse ; or, si tu étais poète, je pourrais espérer que c'est une fiction.
Audrey : Voudriez-vous que je ne fusse pas vertueuse ?
Pierre de Touche : Je le voudrais, certes, à moins que tu ne fusses laide. Car la vertu accouplée à la beauté, c'est le miel servant de sauce au sucre.
Jacques, à part : Fou profond !
Audrey : Eh bien, je ne suis pas jolie, et conséquemment je prie les dieux de me rendre vertueuse.
Pierre de Touche : Oui, mais donner la vertu à un impur laideron, c'est servir un excellent mets dans un plat sale.
Audrey : Je ne suis pas impure, bien que je sois laide, Dieu merci !
Pierre de Touche : C'est bon ! Les dieux soient loués de ta laideur ! L'impureté a toujours le temps de venir… Quoi qu'il en soit, je veux t'épouser, et à cette fin j'ai vu sire Olivier Gâche-Texte, le vicaire du village voisin, qui m'a promis de me rejoindre dans cet endroit de la forêt et de nous accoupler.
Jacques, à part : Je serais bien aise de voir cette réunion.
Audrey : Allons, les dieux nous tiennent en joie !
Pierre de Touche : Amen ! Certes un homme qui serait de coeur timide pourrait bien chanceler devant une telle entreprise ; car ici nous n'avons d'autre temple que le bois, d'autres témoins que les bêtes à cornes. Mais bah ! courage ! Si les cornes sont désagréables, elles sont nécessaires. On dit que bien des gens ne savent pas la fin de leurs fortunes ; c'est vrai : bien des gens ont de bonnes cornes, et n'en savent pas la véritable fin. Après tout, c'est le douaire de leurs femmes ; ce n'est pas de leur propre apport. Des cornes ?... Dame, oui !... Pour les pauvres gens seulement ?... Non, non ; le plus noble cerf en a d'aussi amples que le plus vilain. L'homme solitaire est-il donc si heureux ? Non. de même qu'une ville crénelée est plus majestueuse qu'un village, de même le chef d'un homme marié est plus honorable que le front uni d'un célibataire. Et autant une bonne défense est supérieure à l'impuissance, autant la corne est préférable à l'absence de corne.

Acte III Scène 5 :
Rosalinde, intervenant pour réprimer les insultes que lance Phébé (bergère) à son prétendant le berger Silvius : Et pourquoi, je vous prie ? de quelle mère êtes-vous donc née, pour insulter ainsi et accabler à plaisir les malheureux ? Quand vous n'auriez de la beauté (et, ma foi ! Je vous en vois tout juste assez pour aller au lit la nuit sans chandelle), serait-ce une raison pour être arrogante et impitoyable ?... Eh bien, que signifie ceci ?

Acte IV Scène 1 :
Rosalinde (déguisée en homme) parlant de Rosalinde : Combien de temps voudrez-vous d'elle, quand vous l'aurez possédée ?
Orlando : L'éternité, et un jour.
Rosalinde : Dites un jour, sans l'éternité. Non, non, Orlando. Les hommes sont Avril quand ils font la cour, et Décembre quand ils épousent. Les filles sont Mai tant qu'elles sont filles, mais le temps change dès qu'elles sont femmes. Je prétends être plus jalouse de toi qu'un ramier de Barbarie de sa colombe, plus criarde qu'un perroquet sous la pluie, plus extravagante qu'un singe, plus éperdue dans mes désirs qu'un babouin. Je prétends pleurer pour rien comme Diane à la fontaine, et ça quand vous serez en humeur de gaieté ; je prétends rire comme une hyène, et ça quand tu seras disposé à dormir.
Orlando : Mais ma Rosalinde fera-t-elle tout cela ?
Rosalinde : Sur ma vie, elle fera comme je ferai.
Orlando : Oh ! mais elle est sage !
Rosalinde : Oui, autrement elle n'aurait pas la sagesse de faire tout cela. Plus elle sera sage, plus elle sera maligne. Fermez les portes sur l'esprit de la femme, et il s'échappera par la fenêtre ; fermez la fenêtre, et il s'échappera par le trou de la serrure ; bouchez la serrure, et il s'envolera avec la fumée par la cheminée.
Orlando : Un homme qui aurait une femme douée d'autant d'esprit pourrait bien s'écrier : « Esprit, où t'égares-tu ? »
Rosalinde : Oh ! Vous pouvez garder cette exclamation pour le cas où vous verriez l'esprit de votre femme monter au lit de votre voisin.
Orlando : Et quelle spirituelle excuse son esprit trouverait-il à cela ?
Rosalinde : Parbleu ! Il lui suffirait de dire qu'elle allait vous y chercher. Vous ne la trouverez jamais sans réplique, à moins que vous ne la trouviez sans langue. Pour la femme qui ne saurait pas rejeter sa faute sur le compte de son mari, oh ! qu'elle ne nourrisse pas elle-même son enfant, car elle en ferait un imbécile !

Acte V Scène 1 :
Pierre de Touche : Avoir c'est avoir. Car c'est une figure de rhétorique qu'un liquide, étant versé d'une tasse dans un verre, en remplissant un évacue l'autre. Car tous vos auteurs sont d'avis que ipse c'est lui-même ; or, tu n'es pas ipse, car je suis lui-même.
William (prétendant d'Audrey) : Quel lui-même, monsieur ?
Pierre de Touche, montrant Audrey : Ce lui-même, monsieur, qui doit épouser cette femme. C'est pourquoi, ô rustre, abandonnez, c'est-à-dire, en termes vulgaires, quittez la société, c'est-à-dire, en style villageois, la compagnie de cette femelle, c'est-à-dire, en langue commune, de cette femme, c'est-à-dire, en résumé, abandonne la société de cette femelle ; sinon, rustre, tu péris, ou, pour te faire mieux comprendre, tu meurs ! En d'autres termes, je te tue, je t'extermine, je translate ta vie en mort, ta liberté en asservissement ! J'agis sur toi par le poison, par la bastonnade ou par l'acier, je te fais sauter par guet-apens, je t'écrase par stratagème, je te tue de cent cinquante manières ! C'est pourquoi tremble et décampe.

Acte V Scène 4 :
Jacques : Pourriez-vous à présent nommer par ordre les degrés du démenti ?
Pierre de Touche : Oh ! Monsieur, nous nous querellons d'après l'imprimé ; il y a un livre pour ça comme il y a des livres pour les bonnes manières. Je vais vous nommer les degrés. Premier degré, la Réplique courtoise ; second, le Sarcasme modeste ; troisième, la Répartie grossière ; quatrième, la Riposte vaillante ; cinquième, la Contradiction querelleuse ; sixième, le Démenti à condition ; septième, le Démenti direct. Vous pouvez les éluder tous, excepté le démenti direct ; et encore vous pouvez éluder celui-là par un Si. J'ai vu le cas où sept juges n'avaient pu arranger une querelle ; mais, tous les adversaires se rencontrant, l'un d'eux eut tout bonnement l'idée d'un Si, comme par exemple : « Si vous avez dit ceci, j'ai dit cela » et alors ils se serrèrent la main et jurèrent d'être frères. Votre Si est l'unique juge de paix ; il y a une grande vertu dans le Si.

Epilogue :
Rosalinde, aux spectateurs : Ce n'est pas la mode de voir l'héroïne en épilogue, mais ce n'est pas plus malséant que de voir le héros en prologue. S'il est vrai que bon vin n'a pas besoin d'enseigne, il est vrai aussi qu'une bonne pièce n'a pas besoin d'épilogue. Pourtant à de bon vin on met de bonnes enseignes et les bonnes pièces semblent meilleures à l'aide des bons épilogues. Dans quel embarras suis-je donc, moi qui ne suis pas un bon épilogue et ne puis intercéder près de vous en faveur d'une bonne pièce ! Je n'ai pas les vêtements d'une mendiante : mendier ne me sied donc pas. Ma ressource est de vous conjurer, et je commencerai par les femmes… O femmes ! je vous somme, par l'amour que vous portez aux hommes, d'applaudir dans cette pièce tout ce qui vous en plaît ; et vous, ô hommes, par l'amour que vous portez aux femmes (et je m'aperçois à vos sourires que nul de vous ne les hait), je vous somme de concourir avec les femmes au succès de la pièce… Si j'étais femme, j'embrasserais tout ceux d'entre vous dont la barbe me plairait, dont le teint me charmerait, et dont l'haleine ne me rebuterait pas ; et je suis sûr que tout ceux qui ont la barbe belle, le visage beau et l'haleine douce, en retour de mon offre aimable, voudront bien, quand j'aurai fait la révérence, m'adresser un cordial adieu.
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