Citations sur Mademoiselle Else (35)
Évidemment que je lui rends un dernier hommage, puisque je lui ai aussi rendu le premier outrage.
p. 54
De toute façon, je commencerai une autre vie. Nous serons bien obligés, tous ! Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Je vais parler à Papa... si toutefois il en est encore temps. Oui, il sera encore temps. Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? A la maison, on évacue tout avec des plaisanteries, même si personne n'a le coeur à plaisanter. Chacun a peur de l'autre, chacun est seul. Maman est seule parce qu'elle n'est pas assez maligne et qu'elle ne sait rien de personne, ni de moi, ni de Rudi, ni de Papa. Mais elle ne s'en rend pas compte ; Rudi non plus. Il est gentil, il a une certaine élégance, mais à vingt et un ans, il promettait davantage. Ca lui fera du bien de partir en Hollande. Où partirai-je, moi ? J'aimerais voyager et n'en faire qu'à ma tête. Si Papa se sauve en Amérique, je l'accompagne. Je perds la tête... Le portier doit me prendre pour une folle, assise là sur cet accoudoir, à fixer le vide...
p. 34 le livre de poche
Non, non. C'est tout l'un ou tout l'autre. De quel droit M. von Dorsday jouirait-il d'un privilège ? Si lui me voit, que chacun me voie. Oui ! L'idée est merveilleuse. Tous me verront, le monde entier me verra.
Peut-être que personne n'existe. Ce qui existe, c'est : télégramme, hôtel, montagne, gare, forêt. Mais pas un être humain. Nous les rêvons seulement. Il n'existe que maître Fiala, avec son adresse. Inchangée. Oh non, je ne suis pas folle du tout. Simplement un peu agitée. Absolument normal, quand on va naître au monde pour la seconde fois. Car l'Else d'avant est déjà morte. Oui, je suis morte, sans aucun doute. Pas besoin de Véronal. Ne devrais-je pas le jeter ?
Pour finir, Papa s'est-il... Si papa est mort, tout va bien, je ne serai pas obligée d'accompagner monsieur von Dorsday dans la forêt... Oh, quelle misérable je suis ! Dieu, faites qu'il n'y ait rien de grave dans ce télégramme. Dieu, faites que Papa soit en vie. Arrêté, oui, mais pas mort. S'il n'y a rien de grave, je veux bien faire un sacrifice. Je deviendrai petite bonne, je travaillerai dans un bureau. Ne sois pas mort, Papa. Puisque je suis prête. Puisque je ferai tout ce que tu veux...
Et à quoi cela me servirait-il d'être sur terre ? Ils n'auraient que ce qu'ils méritent tous, ils m'ont éduqué avec un seul objectif : que je me vende, de n'importe quelle façon ! Le théâtre, ils ne voulaient pas en entendre parler ! Ils se sont moqués de moi. Mais il l'aurait bien plu, l'an passé, que j'épouse Wilomitzer, ce patron bientôt quinquagénaire. Tout juste s'ils ne m'ont pas forcé la main. Papa a quand même eu honte... Mais Maman y a fait très nettement allusion.
- Else, qu'as-tu ce soir ?
- Que veux-tu que j'aie ?
- Tu es pleine de mystère, démoniaque, affolante...
- Paul, cesse de dire des bêtises.
- On devient fou à te regarder.
J'ai commis une maladresse. Il a l'air ahuri. Vas-y, vas-y, ne ravale pas ta phrase, Else. Tu parles à un ami de ton père. Saute le pas. C'est le moment ou jamais.
- Monsieur von Dorsay, vous venez de parler si gentiment de mon père ; je me sentirais coupable si je n'étais pas tout à fait franche vis-à-vis de vous...
Il fait ses yeux de veau mourant. Il se doute de quelque chose.
- Ne me répondez pas, Else. Réfléchissez. Ce n'est qu'après le dîner que vous me communiquerez votre décision.
Quelle formule idiote : communiquer votre décision.
- Peut-être sentirez-vous, après avoir réfléchi posément, qu'il ne s'agit pas d'un simple marché.
Et de quoi donc, salaud vibrionnant ?
- Vous me regardez, Else, comme si j'étais devenu subitement fou. Je le suis un peu, car il émane de vous un charme dont vous semblez inconsciente. Ne sentez-vous pas que ma prière n'a rien d'offensant pour vous ? Oui, c'est une prière même si elle ressemble à s'y méprendre à un chantage. Je ne suis pas un maître chanteur, un homme seulement, un être humain, qui connaît la vie, et qui sait par expérience que tout en ce monde a son prix et que celui qui donne son argent, quand il pourrait le troquer, n'est qu'un pauvre fou. Et ce que je veux acheter, cette fois, Else, quel qu'en soit le prix, vous ne serez pas appauvrie pour me l'avoir vendu. Et cela restera un secret entre vous et moi, je vous le jure, Else, de par tous les charmes que vous dévoilerez devant moi, pour me combler.