Citations sur L'Année de la mort de Ricardo Reis (12)
Les aveugles ne sont pas seuls à avoir besoin d'une canne pour tâter le terrain devant eux ou d'un chien pour flairer les dangers, même un homme dont la vue est bonne a besoin d'une lumière qui le précède, d'une conviction, d'une aspiration, ou, faute de mieux, d'un doute. (page 104)
Il n’y a pas de repos dans le monde, ni pour les morts ni pour les vivants. Alors où est la différence entre les uns et les autres. Il n’y en a qu’une, les vivants ont encore le temps de dire le mot, de faire le geste, mais ce temps leur est compté. Quel geste, quel mot. Je ne sais pas, on meurt de ne pas l’avoir dit, on meurt de ne pas l’avoir fait, c’est de ça qu’on meurt, pas de maladie, et c’est pour ça qu’un mort a tant de mal à accepter sa mort.
Ces épisodes romantiques ne conviennent guère à une ode alcaïque, ce qui prouve, s'il en était encore besoin, qu'il y a souvent un décalage entre ce qui est écrit et ce qui a engendré l'écriture, et ce décalage, c'est le vécu.
l'homme est de labyrinthe de lui-même.
La langue choisit probablement les écrivains qui lui sont nécessaires, elle les utilise pour exprimer une parcelle de la réalité, j'aimerais voir ce que sera la vie, quand la langue après avoir tout dit se taira. (page 70)
Un peu plus loin, il a cessé de pleuvoir, il pleuvait, il ne pleut plus, il y a une clarté blême derrière Luis de Camoes, un halo, et voyez ce qu'il en est des mots, celui-ci signifie aussi bien pluie que nuage ou cercle de lumière, et le poète n'étant ni Dieu ni saint, la pluie ayant cessé, les nuages simplement s'espacent, inutile d'imaginer des miracles d'Ourique ou de Fatima, ni même ce miracle pourtant bien simple qu'est un ciel bleu. (page 40)
Ce n'est finalement qu'un vulgaire roman policier, une banale histoire d'assassinat et d'enquête, le criminel, la victime, ou l'inverse, la victime préexistant au criminel, le détective enfin, tous trois complices de la mort, et force est de reconnaître que le seul survivant authentique de cette histoire est le lecteur lui-même, d'ailleurs c'est toujours comme unique survivant véritable que chaque lecteur lit chaque histoire. (page 29)
Il est donc vain de demander au poète ce qu'il a pensé ou senti puisque c'est précisément pour ne pas avoir à le dire qu'il écrit des vers.
Chacun a, croyons-nous, sa manière à lui de dormir et de mourir, alors qu'en fait c'est le déluge qui continue, le temps pleut sur nous, le temps nous noie. (page 54)
Le temps n'est guère propice à la philosophie, on se gèle les pieds, un policier s'est arrêté, hésite et observe, le contemplateur des ondes n'a pas l'air d'un vaurien ni d'un vagabond, peut-être veut-il se jeter à l'eau, se noyer, et à l'idée des tracas que ce geste va lui occasionner, donner l'alarme, repêcher le cadavre, rédiger le constat, le représentant de l'autorité s'approche, ignorant encore ce qu'il va dire, dans l'espoir que son arrivée suffira à dissuader le candidat au suicide, et arrêtera le geste insensé.