"
Elle et lui" est le récit romancé de la relation d'Alfred de
Musset et de
George Sand, dont je m'étonne qu'elle n'ait encore donné lieu à aucun compte-rendu sur Babelio.
Les deux amants n'y sont plus écrivains, comme ils le furent dans la réalité, mais peintres, ce qui maintient les rapports de rivalité entre eux.
Pourquoi Thérèse (
George Sand) s'est-elle mis en tête, sous le prétexte de ses six années de plus, de servir de mère-amante à Laurent (
Musset) pour l'amender et préserver sa créativité des effets de la débauche ? La faute sans doute à l'éducation des femmes obligées de justifier un amour à leurs propres yeux en le parant du voile pudique d'une mission altruiste à accomplir.
Ces choses-là ne marchent jamais et leur idylle ne dura qu'une petite semaine à laquelle succéda un enfer dont même la lecture est éprouvante.
Volage, joueur, viveur, instable, jaloux jusqu'au délire, rabaissant, sujet à des accès délirants, maniant le chaud et le froid, Laurent/
Musset fut un amant immature et manipulateur. Se considérant comme un véritable artiste, il moquait la facilité d'écriture de sa compagne, qu'il considérait comme une sorte de coucou pondant à heure fixe.
Plusieurs fois brouillés, plusieurs fois rabibochés, ils ne purent éviter la grande scène finale qui les sépara définitivement.
Musset était noyé dans l'alcool et probablement la drogue ; il pratiquait un libertinage sexuel éhonté. C'était aussi un manipulateur et un pervers. La chose est entendue.
Cependant
George Sand excelle à peindre la tendance des femmes qui, se sentant investies de la mission de sauver les hommes de leurs démons, en négligent leur propre sécurité.
Ces saintes intentions (que
Musset raillait abondamment en surnommant Sand "la religieuse") amplifient le désastre en floutant les rôles et en plaçant l'homme dans le rôle de l'enfant terrible à qui on pardonne tout. Ne connaissant que des affects embrouillés, il joue sur la corde sensible de sa partenaire, maniant alternativement les pleurs, le chantage affectif et la tyrannie ; le couple se débat dans les filets d'un drame perpétuel se manifestant en journées perdues et en nuits de crises cauchemardes, ne laissant au petit matin que deux loques pitoyables et déchues, ayant frôlé la démence et le crime.
Les deux finiront par se fuir, on en est heureux pour la survie de
George Sand.
Quant à Laurent/
Musset, la messe est dite : il mènera sa vie de débauche sans désemparer et mourra beaucoup plus tôt que s'il avait passé de temps à autre une soirée paisible au coin du feu.
Le lecteur et surtout la lectrice, s'ils le souhaitent, en tireront la leçon qu'en amour, comme dans toutes les affaires humaines, chacun doit jouer honnêtement sa partition sans poursuivre de faux idéaux rédempteurs qui agiront comme des brouilleurs d'ondes.
George Sand, qui a publié ce roman en 1859, deux ans après la mort d'Alfred de
Musset, a écrit là une oeuvre forte que j'ai beaucoup aimée. La présentation des personnages et des situations peut sembler longue mais alors qu'on ronronnait au rythme du beau style, le scénario prend soudain son envol.
Je tiens les autres intrigues du roman et sa chute secrètes : elles sont inattendues et ouvrent des perspectives
nouvelles.
Pour ceux qui trouveraient fade l'oeuvre de
George Sand, il faut lire "
Elle et lui".