Sur ce sentiment inconnu, dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.
Je me répétais volontiers des formules lapidaires, celle d'Oscar Wilde, entre autres : "Le péché est la seule note de couleur vive qui subsiste dans le monde moderne."
J'éprouvais en face des gens dénués de tout charme physique une sorte de gêne, d'absence; leur résignation à ne pas plaire me semblait une infirmité indécente.
Elle se glorifie de n'avoir fait ni ceci, ni cela, et non pas d'avoir accompli quelque chose.
Je craignais que l’on pût lire sur mon visage les signatures éclatantes du plaisir, en ombres sous mes yeux, en relief sur ma bouche, en tremblements.
"Pour être intérieurement tranquilles, il nous fallait à mon père et à moi l'agitation extérieure".
Cécile, brunette "efflanquée" de 17 ans, craint l'ennui plus que tout, autrement bonjour tristesse.
En vacances, au bord de la Méditerranée, avec son père veuf, la quarantaine séductrice, "bon, "généreux et gai" et Elsa, jeune rousse flamboyante, "mi-créature, mi-mondaine", dernière maîtresse en date de ce dernier; elle va monter un plan machiavélique suite à l'arrivée perturbatrice d'Anne, une "séduisante" ancienne amie de sa mère intelligente, "aimable et lointaine".
"Votre père et moi aimerions marier" annonce Anne tout à trac,évinçant Elsa sans scrupules et pensant en directrice de collections autoritaire pouvoir agir à sa guise sur le père et la fille illico.
Tout l'art du maniement subtil des sentiments, toute la palette nuancée des émotions, la véracité des portraits, éclatent déjà dans ce premier roman de Françoise Sagan dont la notoriété ne cessera de croitre par la suite.
Cécile admirative, au départ, s'insurge,épie, jalouse,griffe, manipule,feint, détruit.
Anne amoureuse mais hautaine se croit tout permis, dirige, se dévoile, se relâche et se casse.
Raymond, simple pion,se retrouve déplacé sur l'échiquier des femmes.
Elsa, jolie bécasse de service, est un appat de choix.
Le trio amoureux Raymond, Elsa et Anne se double de Cyril, propriété interdite de Cécile sauf lorsqu'elle tire les ficelles de ses marionnettes préférées.
Du grand art agrémenté d'images délicates et vivantes comme "quelque chose se replie sur moi comme une soie", ou "le ciel était éclaboussé d'étoiles"...
Du pur théatre, comédie légère qui dérape vers le drame final.
Un chef d'oeuvre de finesse!
De temps en temps,elle ne riait plus du tout,mes idées de lancement débordant les cadres de la littérature et de la simple décence.