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Critique de Soune


Ce petit roman qui traite d'une dame âgée repassant en revue sa vie passée jusqu'à maintenant aux côtés de son mari à se conformer aux désirs des autres jusqu'à s'oublier elle-même et qui, lors du décès de son mari, se réveille en refusant tout net de continuer à se plier à ce comportement, m'a complètement enchantée. Roman délicatement mené, la plume de l'auteur se révèle à la fois sérieuse, humoristique, voire même cynique, et pour autant emprunte d'observations judicieuses sur la condition humaine.

Le livre s'ouvre sur la mort de son mari, lord Slane, un homme politique distingué et réputé et sur leurs enfants discutant des affaires de leur père et du sort de leur mère âgée alors de 88 ans. Ils s'attendent tous à ce que cette dernière suive leurs directives mais la vieille dame n'en a cure. Pour la première fois de sa vie, lady Slane, exprime ses envies : elle souhaite finir ses jours dans un appartement de la banlieue de Londres qu'elle souhaite louer avec sa domestique Genoux, appartement qu'elle avait repéré trente ans plus tôt. Elle souhaite vivre un rêve de jeunesse en habitant là-bas. Ses enfants sont décontenancés. Eux qui croyaient la connaitre ne la reconnaissent plus. Finalement, ils la laissent partir là-bas, après moult discussions et débats. Lady Slane sympathise avec le propriétaire. Ils deviennent amis. Ses enfants sont outrés. Comprenez qu'une femme de son rang ne peut sympathiser avec des gens de la petite bourgeoisie, elle, la veuve d'un membre du Parlement anglais, mariée à « une légende vivante »! Mais lady Slane se moque aujourd'hui des conventions comme des vieilles chaussettes. La voilà maintenant proche de personnes sans distinctions de rang. « En fait, je me suis trop occupée de l'opinion des autres, j'ai droit à des vacances. Si l'on ne se fait pas plaisir à mon âge, quand le fera-t-on ? Il me reste si peu de temps » dit-elle.

Plus jeune, lady Slane eût des rêves. Aucun n'a été mené à son terme. Aujourd'hui elle veut réparer ce tort. Par exemple, elle voulait devenir artiste mais elle ne put suivre son désir, le mariage et les conventions sociales l'ayant complètement accaparée puis ensuite éloignée de son but. Sans en prendre conscience elle a petit-à-petit fui sa propre personnalité. Elle passa le reste de sa vie à regretter de se terrer ainsi derrière de faux-semblant mais les dommages étaient faits. Pour autant, elle ne considérait pas avoir eu une vie médiocre : elle avait apprécié suivre son mari jusqu'en Inde ou jusqu'en Afrique et toucher l'ambiance bling bling de son milieu mais plus le temps passait et moins cela l'intéressait. Ce qui est surprenant c'est qu'elle n'ait jamais pu trouver le moment de poursuivre son rêve d'artiste, ne serait-ce qu'un peu, de temps en temps. Cela serait sans doute sans oublier les conventions pour une femme de l'époque. Les droits des femmes n'existaient pas encore ou alors n'étaient qu'enfermés dans le tableau de la mère de famille vouée corps et âme à ses enfants et à la bonne tenue d'une maison. Cependant, lorsqu'elles avaient un minimum de culture, mais pas trop tout de même l'homme restant le maître à penser de la société familiale et de la société en général, certains maris étaient ravis. Alors, penser à soi quand on était une femme, que voulez-vous, un comportement bien trop extraterrestre pour être réel.
Lady Slane prend conscience en revenant sur les évènements majeurs de sa vie qu'elle n'a jamais vraiment aimé les rôles qu'elle a endossés, à savoir être une mère, une épouse et une grand-mère. Elle voulait juste consacrer sa vie à la peinture et elle ne l'a jamais fait. Alors qu'elle fait la paix avec elle-même, elle comprend qu'elle n'a même jamais aimé son mari pour qui elle a pourtant tout abandonné, à qui elle s'est offerte entièrement.
Je n'ai pu m'empêcher de ressentir beaucoup de peine pour cette femme représentant sans doute beaucoup d'autres vivant à son époque, la souffrance de vivre pour le plaisir des autres en étouffant ses rêves me fut douloureuse… A se demander si l'amour est à ce prix… Mais pouvait-on parler d'amour lorsque la plupart des mariages étaient arrangés?

Ce livre s'apparente en bien des points à une défense sur la condition des femmes. Sackville-West, via Lady Slane, nous exhorte à rester vrais envers nous-mêmes, sans nous perdre en suivant les standards du monde. Je comprends ici le rapprochement avec Virginia Woolf.
Cependant, bien qu'écrit en 1931, ce livre ne se rapproche pas seulement du talent de Virginia Woolf. Il a également le talent d'être intemporel. Il semble en effet totalement d'actualité. Lady Slane incarne peut être la fin d'une certaine aristocratie anglaise, elle n'en reste pas moins très actuelle pour ce qui est de la condition des êtres humains à vivre une vie qu'on leur a imposée et qui se contentent de faire de la figuration. Aujourd'hui, la majorité des femmes dans les pays occidentaux a le choix de suivre son propre chemin. Mais, qu'en est-il des femmes d'hommes politiques comme le fut lady Slane ? Ont-elles vraiment le choix de vivre leur vie sans entacher l'image de leurs maris ? Après tout, les femmes de politiciens ont toujours le devoir aujourd'hui de se fondre dans un moule et d'endosser des loisirs « acceptables » voire même de mettre leur carrière en second plan. La liberté des femmes a-t-elle finalement changé depuis l'époque où ce livre fut publié ? Malgré les descriptions quelques peu désuètes de l'Angleterre de l'époque, ce livre reste étrangement moderne pour moi. Sans pour autant être femme d'homme politicien ou simplement femme, qui n'a pas en effet ressenti à un moment de sa vie une ambition refrénée? Qui ne s'est pas demandé à un moment où à un autre quel était le compromis à faire entre devoir et désir ? de même, ce livre reste d'actualité car il pose également la question du sort de la vieillesse. Souvent on entend les personnes âgées dire qu'elles n'ont plus le temps d'échafauder des projets. Et si le dernier projet était de réparer ce que l'on avait détruit ou ce que l'on n'avait pu faire?

Même si certains trouveront peut être le style de Vita Sackville-West démodé, l'auteur est pour moi une pure merveille à lire, une artiste autant admirable pour son écriture que pour ses choix de vie courageux. Il me tarde de lire d'autres ouvrages d'elle!
Lien : http://aupetitbonheurlapage...
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