Nous avions raison, il n'y avait pas de futur.
Non.
Rien que ce faux présent, sorte de passé antérieur qui se conjuguait en un empire de mille ans.
Si on grattait le maquillage de postmodernisme
- mec à la page et nana cool, bobo et Barbies libérés -,
on aurait découvert les traits de ces momies aristocratiques du XVIIIe siècle,
courtisans et gourgandines à perruques choucroutées ;
ou les mêmes traits de ces nouveaux riches du XIXe siècle,
drapés de songes en coupons boursiers,
avec leurs piètres cachoteries de boutiquiers et de commères
se délectant de cancaneries putassières que décrivent Balzac ou Flaubert.
Cruel, le présent des propriétaires porte les stigmates
de cette comédie inhumaine sans cesse recommencée, comme un disque rayé.
Quand le temps le permettait, je m'arrêtais aux terrasses des cafés
et décortiquais les marées de passants.
Je scrutais la posture de la domesticité intime et ses simagrées fédératives.
La ruche bourdonnante de ces gens sur les trottoirs m'enivrait
de ses sarabandes fiévreuses,
me saoulait d'absurde.
Étaient-ils obligés de jouer une comédie aussi frénétique,
avec ces airs convenus du dressage dramatique ?
Jusqu'à une mimesis de mise en scène,
enfilant un masque de réalité fabriquée, répétitive, productive,
et par-dessus tout insensée.
Qu'ils soient riches, pauvres, demi-sels,
cools, absents, chics, dépenaillés,
autochtones, venus de loin, branchés, insipides, discrets,
indéfinissables, convertis, défroqués,
outrageusement passants...
Ils passaient.
Les chrysalides qui ont survécu ont donné des papillons aux ailes brûlées.
Perdus non pas corps et âme - quelle âme ? -
mais corps et biens...
Comme les grands mérous qui tournent, mornes,
dans les aquariums des zoothèques,
orphelins des hautes mers.
Ils ont usé leurs nageoires à la ligne de masse et tournent dans le sens du courant.
Toujours dans le sens du courant,
derrière les vitres étroites,
ils nagent tous en rond,
en prêtant attention à suivre l'autre devant eux
comme dans les couloirs d'un Métro dont on les persuade qu'il est dans le vent,
dans le sens de l'Histoire.
Ils frayent avec les autres, soumis, économes,
parcimonieux de tout,
anxieux du moindre risque.
La pisse de celui qui précède tiédit leur eau.
Si, dans quelque accès de rage contenue, ils tentent quelque chose,
ce n'est pas contre les limites étriquées de leur bassin,
mais contre l'autre, devant,
qu'ils enfoncent sans façon.
Les songes abîmés de ces jours et de ces nuits filaient le désespoir à la petite semaine.
Toujours le même rêve lénifiant de mercurochrome,
celui de Montecristo.
La belle, le coffre débordant de bijoux sur une île déserte et,
dans les épisodes suivants, le changement de peau et, par-dessus tout,
la vengeance contre l'injustice, contre les salauds,
les balances et les autres zigotos qu'il fallait retrouver.
Le flic pourri ou le juge vicieux.
Avec le plan, nous changerions de peau, de vie.
Sempiternelle histoire.
Comme un chapelet,
l'illusoire du plan immaculé s’égrenait dans le ravaudage de notre existence indigente.
En prison, les insomnies et la longueur des heures nous enchaînaient devant la télé,
une maille à l'envers, une maille à l'endroit.
Comme une sorte de double peine.
Et à chaque tour de cadran,
s'égrenaient des discours identiques, de faux débats et de fausses élections.
Sans alternative.
Le clergé médiatique et univoque
tisse un fil d'Ariane de l'inutile, du vide, des vertiges, des désespérances,
des bassesses insipides qui nous gouvernent.
Ils nous obligent à ramper jusqu'à l'autodestruction de l'être,
jusqu'à ce rien cathodique dérisoire.