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Critique de fanfanouche24


[Lu en mars 2014- Relecture décembre 2021 ]

Des pages bouleversantes et curieusement lumineuses sur un sujet sombrissime : le Suicide !

En plus des rangements et tris printaniers, j'en fais aussi en fin d'année, avant de prendre de bonnes et belles résolutions pour la nouvelle année à venir et à construire. Je suis retombée sur cet ouvrage qui dans des temps anciens m'avait « chavirée »… me souvenant fort bien que Jean-Marie Rouart, en dépit d'une naissance prestigieuse dans un milieu à la fois bourgeois et artistique, n'en exprimait pas moins une ambiance, finalement, mortifère. Il l'exprime d'ailleurs fort bien au début de cet écrit :

« Un autre aurait cherché un appui dans sa famille. La mienne ne m'était d'aucun secours. (…)
La grande force morale et matérielle de la famille, c'était la peinture ; sa grande faiblesse, c'étaient les nerfs. de génération en génération on était peintre, après avoir été ébéniste, comme on est chez d'autres notaire ou pâtissier. On ne se mariait qu'entre familles de peintres. La peinture était une monomanie, un culte exclusif et frénétique. On ne parlait que d'elle ; on ne collectionnait qu'elle. Surtout on la pratiquait. Avec rage. (…) Les enfant étaient enrégimentés comme modèles, les pommes, les poires et les oranges mobilisées d'office pour les natures mortes. L'odeur de l'essence de térébenthine flottait partout. Mais les plus belles passions finissent par s'aigrir. La spéculation envenimait les frustrations et enflammait les convoitises. Après avoir été une libération, l'accession pour une bourgeoisie d'argent aux valeurs de l'art, elle devenait un asservissement maniaque. Orgueil dans l'opulence, elle se muait en malédiction dans les aléas de la vie difficile. le génie de la famille se retournait contre elle. Les dons étaient devenus des chaînes. (p. 16)

Jean-Marie Rouart après nous avoir raconté son propre mal-être au sein d'une famille, nous semblant à nous, extrêmement privilégiée à première vue…nous fait « toucher du doigt » combien , malgré des apparences flatteuses , notre écrivain a eu grand mal à trouver « sa place » et des raisons de neutraliser le côté profondément mortifère de son milieu.

Il nous emmène tour à tour parmi tous les Grands de la Littérature qui se sont suicidés ou ont été tentés de se détruire et de quitter ce monde qui les laissait désespérés, insatisfaits dans leur quête : Stefan Zweig, Bejamin Constant, René Crevel, Romain Gary, Hemingway, Jack London, Drieu La Rochelle [dont un très beaux passage de son amitié fidèle avec
Malraux ],l'actrice, Jean Seberg,le peintre Léopold Robert, pour ensuite parler longuement de « L'Empereur du désespoir « , Napoléon, ayant tenté deux fois d'attenter à sa vie…mais aussi d'autres personnages de l'histoire, moins connus ; et j'allais omettre, dans un tout autre registre, les pages étonnantes sur une ville fascinante, mélancolique et mortifère à souhait : La Sérénissime Venise !

Jean-Marie Rouart, sur un sujet des plus complexes et des plus dérangeants qu'est le SUICIDE, a écrit des pages étonnantes de clairvoyance et de lumière ; ce qui pourrait paraître, au demeurant, bien contradictoire !

Les titres de certains chapitres , en les parcourant, sont d'une éloquence sans équivoque : « Ecrire avec son sang », « Une blessure qui devient lumière », « Aimer la vie à en mourir », « La plus fraternelle des impuissances »…

Comme l'écrivain l'exprime au plus juste : même si il a finalement échappé , par l'écriture, par l'acte créateur, au désespoir d'être, il reste et se sent toujours « le frère des suicidés », et de l'adolescent au bord e l'abîme qu'il fut… ;J'achève ce billet par deux extraits se complétant très justement entre les exigences de tout créateur et les profondeurs des êtres inquiets écorchés vifs, et idéalistes…

« J'aime ceux qui souffrent, les écorchés, les coeurs douloureux, ceux que leur sensibilité torture, ceux qui ont l'âme inquiète et l'ambition toujours déçue. Je hais les capitalistes du succès, les nouveaux riches de l'arrivisme, les carriéristes rassasiés. J'aime les inquiets, les passionnés, les météores qui traversent la stratosphère de leur rêve et se consument dans leur course « (p. 174)

« La plus fraternelle des impuissances-
Pour un écrivain, tout commence par le chaos de l'adolescence. Il paraît alors encore plus impérieux de détruire que de construire. (...)
Cette soif de détruire qui précède toute création est aussi une ivresse. On se grise de sa puissance en voyant s'effondrer le monde des grandes personnes qui, il y a si peu de temps, vous faisait si peur. (...)
Pas de créateur qui n'ait été d'abord dynamiteur, tout comme il n'y a pas de législateur qui n'ait commencé par être anarchiste. « (Grasset, 1984, p. 146)
Un texte vécu de l'intérieur…en tous points , bouleversant, et interpellant… même si le sujet, universel à la condition humaine reste et restera avec sa complexité et ses questions sans réponse !
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