Ombre blessée, âme ici qui viens
en boitant, te glissant hors de ton pâle
abri chercher dans ces rêves le peu
que je grappille pour toi dans les passes
de réveils et cauchemars, les obscènes
cortèges des charades, si peu
que parfois quand tu arrives le feu
est déjà froid, arrachés les volets, pleins
de fades intrus, d’incertains répliquants
l’espace des cuisines, la table
de classe, le lit, donne-moi du temps, ne
disparais pas, le temps de régler tous ces
comptes honteux en suspens avec eux
avant de m’étendre à ton côté.
Ogni terzo pensiero, Mondadori 1993
Tellement difficile à imaginer,
vraiment, le paradis ? Mais s’il suffit
de fermer les yeux pour le voir, il est
là derrière, sous les paupières, il semble
qu’il nous attende, et personne d’autre, fête
matutinale, gloire crépusculaire
sur la ville intouchée, sur la mer
d’avant la diaspora — et s’éveille
alors, tu n’entends pas ? une lointaine
voix, lointaine et bien plus proche comme
si non pas l’oreille en vibrait mais
un autre labyrinthe, une membrane
secrète, tendue dans le noir à demi
entre le rien et le cœur, silence et nom...
S’en aller, revenir, deux pensées
douces jusqu’à la mort en trois mots
seulement, LIGNES NORD MILAN, hier
imprimées limpides dans la lumière
du matin, à présent sur les pauvres
échasses du souvenir. Il ne faut
pas grand-chose pour voir que les autres
ne savent rien de ce qui fait mal
dans notre mémoire, que pour eux
Auschwitz est un nom quelconque, un son
sans histoire. Je les sens, plus légers
que l’air, m’effleurer, fendre le bon
de l’air, oh non exilés, frontaliers
de l’air en route entre brume et or.