Agathe était athée comme respirer est naturel pour l’organisme. Hors de question de croire qu’un être supérieur était à l’origine de tout. Elle maudissait ces convaincus extrémistes qui réfutent toute explication de la Science et surtout qui commettent des actes de barbarie au nom d’une puissance divine. Et que dire des croyants qui prônent l’amour, mais qui s’offusquent en brandissant des banderoles contre le mariage pour tous. Le plus révoltant à ses yeux était cette hypocrisie de la Sainte-Eglise catholique à ne pas vouloir autoriser le mariage des prêtres et qui préférait semer des graines de pédophilie dans son jardin d’Eden. Les religions n’existaient que pour manipuler les faibles et profiter de leur délicatesse. Une tartuferie à l’échelle mondiale ! Si un seul être supérieur devait réellement exister, il ne pouvait être que le Diable drapé dans un manteau de sournoiserie.
Pour tenter de lui faire oublier ses tourments, Marc Gautier entama la conversation sur leur passion commune des polars. Les titres des romans de Ghislain Gilberti, Niko Tackian, Jacques Saussey, Armelle Carbonel et autres consorts remplacèrent les tubes de la radio.
La philanthropie au travail, c’est comme une tartiflette en pleine canicule, il n’y a pas grand monde pour essayer.
Une odeur de café et de tabac froid suintait des murs défraîchis et lui encrassa les narines lorsqu’il franchit le seuil. Le patron des lieux se torchait à coup sûr avec la loi Evin. Accoudés au comptoir, trois piliers aux gueules taillées au burin retraçant la carte des vignobles français savouraient une mousse, mélange de pisse et de houblon douteux.
— Vous buvez quoi ? dit le taulier, copie conforme de ses habitués.
— Un ristretto, s’il vous plaît. Un café serré si vous préférez ! dit-il en remarquant la mine renfrognée du patron certainement plus habitué à servir des ballons de rouge.
— J’connais mon boulot.
Le romancier la serra à nouveau contre lui et dans un élan paternaliste, lui frôla ses longs cheveux bruns. Il n’avait jamais eu d’enfants. Non pas qu’il n’avait jamais eu de compagnes, mais bien par manque de temps. La vie avait décidé qu’il serait uniquement géniteur de romans à succès et sa passion devenue son métier l’avait consumé chaque jour. Pas le temps de s’occuper d’un gamin lorsque l’on s’obstine à chercher le meilleur scénario, que l’on se triture les méninges pour trouver le parfait rebondissement et que l’on coure les salons spécialisés pour vendre son dernier roman et discuter avec ses lecteurs. Mais en sentant le désarroi d’Agathe à cet instant précis, Sylvain comprit qu’il s’était trompé. Le succès et ses suppôts pouvaient vous abandonner alors qu’un enfant, si vous preniez soin de lui, vous serait toujours fidèle.