Il est nécessaire, pour qui veut s'intéresser à la vie paysanne et populaire du Moyen-Âge en Europe, de considérer ce pan particulier de la littérature imprimée qui s'est développée au cours du XVIème siècle, et que l'auteur de cet essai, parti en quête de celle-ci en 1977, nomme le "genre narratif bref d'imagination en prose".
Entre la littérature merveilleuse des romans de chevalerie et la littérature humaniste puis classique, toutes deux élitistes, des fils de paysans, devenus clercs, se sont essayés à l'écriture. Ecrasés par l'aura des auteurs latins qu'ils ne connaissaient pas encore, ils ne prenaient sans doute pas leurs travaux très au sérieux, mais ce faisant, ils ont fourni une parole très sincère, très réaliste et très fine des moeurs, des croyances et de la vie dans les campagnes françaises contemporaines.
C'est qu'ils ne manquaient pas de curiosité et de dons d'observation. En débutant son essai par les oeuvres de Vigneulles, Gabriel-A. Pérouse sait s'y prendre pour accrocher le lecteur à un travail qui se présentait pourtant d'un angle d'attaque difficile. Au contraire, on rit, on s'amuse, on se complait à parcourir la diversité des récits rapportés, de leur réalisme et des thèmes qui les soutiennent. Car ces textes qui cherchent à divertir le lecteur contemporain en lui apportant des "nouvelles", des faits divers du coin, se présentent nécessairement sous une une forme facétieuse et orale, à la manière dont on rapporte les potins. La diffusion du Décaméron n'y fera rien. Si la prospérité de la France de
François Ier apporte l'expression d'un ton guilleret, l'approche des guerres de religion referme la possibilité d'une évolution du genre vers le raffinement italien. Tout en empruntant la forme conçue par Boccace (récit cadre d'une société conteuse et récits brefs successifs), on préfère, de ce côté-ci des Alpes, le réalisme des faits divers, l'oralité et la certitude d'avoir affaire à un témoignage "direct". Exit la fiction gratuite, on favorise la véracité des potins du voisin. Il existe quelques exceptions cependant à cette truculence, car, lorsqu'on est reine de Navarre, l'immédiateté du témoignage de la vie courante s'apparente davantage au raffinement de la fiction italienne qu'aux grasses plaisanteries des petites gens. Mais rien n'y fait, la rudesses des temps et le goût du vrai n'autorisent pas les auteurs à s'orienter vers la fiction, que le conte oral des campagne ou les romans de chevalerie prennent très bien en charge.
A la fin du siècle pourtant, l'élévation du niveau d'érudition des auteurs et la diffusion de l'humanisme tentent les auteurs à livrer davantage leurs réflexions sur leur époque qu'à narrer le réalisme de la vie courante. le respect de la tradition qui veut que celui qui "prend la parole" adopte un style facétieux et accrédite la véracité de son propos aboutit à des formes littéraires guindées, hybrides, ou le sérieux d'une parole moralisante tente de percer l'artifice de la forme facétieuse et du récit enchâssant de la société conteuse. Il faudra que des novateurs se soustraient à ces encombrants atavismes pour libérer une parole personnelle qui porte une réflexion sur la société : ainsi naissent les essais (et "Les essais").
Au début du XVIIème siècle disparaissent ainsi les conditions qui avaient donné aux réalités de la société des campagnes l'occasion de passer à la postérité. Désormais, il n'y aura plus que des lettrés qui écriront pour des lettrés et la culture populaire sombre dans l'anonymat.