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Critique de Lekarr


Après la commune, la première guerre mondiale et celle de 39/45, Patrick Pécherot a de nouveau choisi une heure sombre de l'histoire de France comme thème de son nouveau roman. Cette fois-ci c'est dans le Jura des années cinquante qu'il nous transporte pour nous conter une histoire de conscience sur fond de guerre d'Algérie. Un peu comme Didier Daeninckx l'a fait dans des romans comme : « Meurtre pour mémoire » ou « le bourreau et son double », il nous parle des séquelles que ce conflit a laissé dans les esprits ou plutôt est en train de laisser, puisque son roman à lui se déroule bel et bien pendant la guerre et non des décennies plus tard.
Cela lui permet de faire revivre cette époque difficile pour le populo dont les conditions de vie sont encore relativement précaires en dépit du plein emploi dans un pays qui se reconstruit. Son récit est donc très orienté sur les aspects sociaux de l'époque. On prend le pouls de la société d'alors en compagnie de Gus et André, on visite les petites entreprises qui vivotent, les routiers où se côtoient les ouvriers, le zinc où l'on refait le monde à grand coups de canons, les premières cités... La guerre, elle, n'est que suggérée. On n'en sait que ce que la TSF veut bien en dire ou ce que les témoins en racontent. Pour le reste il faut se contenter du discours officiel ou de ses répercussions en métropole : les manifestations des travailleurs algériens et les porteurs de valises.
Les héros de Pécherot n'y sont confrontés que par la bande. Et encore, c'est davantage à leurs démons intérieurs qu'ils ont affaire. Ils vont notamment devoir surmonter leur rancune et leurs préjugés et apprendre à juger les gens « au singulier », à voir le gamin dans le bidasse ou le père de famille dans l'arabe et décider s'il y a une différence à faire passer la frontière à un juif en 1945 ou exfiltrer un membre du FLN ou un déserteur en 1958. Ce faisant, il nous rappelle cette évidence trop souvent oubliée qui consiste à ne pas considérer les individus en fonction de leur milieu, de leur race, ou de leur religion.
Les amateurs d'intrigues alambiquées ou d'enquêtes rondement menées seront sans doute déçus. C'est un instantané de vie que nous propose l'auteur et les seuls mystères à éclaircir sont ceux qui se lovent dans la personnalité des personnages, dans les recoins intimes de leur cerveau. le roman n'en est pas moins passionnant et l'on se demande jusqu'au bout quelle route vont emprunter les protagonistes. Celle de la colère et de l'appât du gain ou celle de la compassion.
L'écriture est en revanche particulièrement soignée. Elle possède une puissance d'évocation peu commune grâce à une plume qui mêle l'argot à la littérature pour accoucher d'une poésie de la dèche. Si vous ne me croyez pas, ces quelques lignes devraient suffire à vous convaincre : « Sept bâtisses barrant l'horizon comme pour le rayer de la carte. Des fenêtres à fientes, des caniveaux à reflux, des puanteurs de marais. Quatre cent personnes à loger. Des familles, les mômes en ribambelle, cannes de serins et morve au nez. Les hommes usés avant terme, les femmes plus fanées que leurs couronnes de mariées. de la fatigue à chaque étage et des tâches ménagères qu'on ne s'imagine plus. Les marches à grimper, les brocs à transbahuter, les lessives à casser le dos, le charbon à monter, les corvées de patates et la cuisson des nouilles. La toilette à la bassine, les matelas côte-côte et les sommeils tête-bêche. Des aubes froides, des jours crasseux et le soir, lumière éteinte dans la carrée unique, les étreintes expédiées à la va-comme-je-te-pousse. »

Lien : http://sfemoi.canalblog.com/..
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