Les célibataires prennent le mariage plus au sérieux que les gens mariés.
Si une vie absolument libre du sentiment du péché était réalisable, elle serait d'un vide épouvantable.
Tu dois reconnaître que les magnifiques promesses de la science à venir te terrifient et que tu les verrais volontiers avorter. Non pas pour la raison que la science crée des armements homicides (ce n'est pas le massacre des hommes qui est pour te déplaire : on vient au monde pour mourir), mais parce que la science pourra fournir un jour de tel moyen de contrôle sur la vie intérieure et sur la vie physique de l'individu que la vie ne vaudra plus la peine d'être vécue. [...] En somme, mourir (que ce soit par l'épée ou par un rayon mortel) n'est rien ; vivre scientifiquement apparaît comme épouvantable.
C'est un signe d'amour certain que de désirer connaître, revivre, l'enfance de l'autre.
28 février 1936
Qu'est-ce qui me fais souffrir chez elle ? Le jour où elle levait le bras sur le corso asphalté, le jour où on ne venait pas ouvrir et où elle est apparue ensuite avec ses cheveux en désordre, le jour où elle parlait doucement avec lui sur la digue, les mille fois où elle m'a bousculé.
Mais ce n'est plus là de l'esthétique, ce sont des lamentations. Je voulais énumérer des beaux et infimes souvenirs, et je ne me rappelle que les tortures.
Allons, celles-ci serviront tout de même. Mon histoire avec elle n'est donc pas faite de grandes scènes mais de très subtils moments intérieurs. C'est ainsi que doit être un poème. Elle est atroce, cette souffrance.
24 avril 1936
Subir une injustice est d'une désolation terrifiante - comme un matin d'hiver. Cela remet en vigueur, selon nos plus jaloux désirs, la séduction de la vie ; cela nous redonne le sentiment de notre valeur par rapport aux choses ; cela flatte. Tandis que souffrir à cause d'un pur hasard, à cause d'un malheur, c'est avilissant. Je l'ai éprouvé et je voudrais que l'injustice, l'ingratitude eussent été plus grandes. C'est cela qui s'appelle vivre et, à vingt-huit ans, ne pas être précoce.
Quant à l'humilité. Il est rare pourtant de souffrir une belle et totale injustice. Nos actes sont tellement tortueux. En général, on trouve toujours que nous aussi nous sommes un peu fautifs et adieu le matin d'hiver.
Non pas un peu de faute, mais toute la faute, on n'en sort pas. Jamais.
Attendre est encore une occupation, c'est ne rien attendre qui est terrible.
Tout le problème de la vie consiste à savoir comment rompre sa solitude et comment communiquer avec les autres.
La réalité de la guerre suggère cette simple pensée : il n'est pas douloureux de mourir quand meurt tant de tes amis. De la guerre naît le sentiment de groupe. Bienvenue.
Pour comprendre qu'être jaloux charnellement est une idiotie, il faut avoir été libertin.
Vouloir commettre à tout prix une méchanceté, en allant jusqu'à faire violence à sa propre nature, est typique de l'adolescent et du besoin de se prouver à soi-même que l'on est universel, par delà toute norme.