Citations sur Le Métier de vivre (353)
Est superstitieuse toute explication de l'univers qui croit concilier vérité et justice et qui n'y parvient plus. En dehors de la religion, il n'y a que la suspension du jugement, pour autant que c'est possible.
Tomber du figuier et être étendu dans son sang n'est pas sauvage en tant qu'évènement, mais le devient si on le voit comme loi de la vie. Que le sang jaillisse d'une manière ou d'une autre, en torrent sur la terre, que naturellement les bêtes se dévorent et que celui qui a chu n'ait pas de droit à invoquer, cela est sauvage parce que notre sentiment voudrait que cela soit interdit, que ce soit un simple événement et non une loi. En cela le sentiment naturel condamne la nature.
Est donc sauvage ce qui est dépassé par la conscience. Tant que nous croyons à la superstition, nous ne sommes pas superstitieux. C'est pour cela qu'elle est essentiellement rétrospective, royaume de la mémoire, propre à devenir poésie. Comme le mal, qui est toujours du passé-remords. Tandis que l'activité, qui est le royaume du présent, est le bien.
Quand tu racontes des anecdotes ou des faits, tu t'embrouilles toujours et tu ne sais pas choisir : tu voudrais tout dire : manque de confiance en l'art, espoir qu'en accumulant tous les détails, te vienne aussi le bon détail, celui qui fera le point.
Le problème n'est pas la dureté du sort, puisque l'on obtient tout ce que l'on veut avec une force suffisante. Le problème, c'est plutôt que ce que l'on obtient dégoute. Et alors, on ne doit jamais s'en prendre au sort, mais à son propre désir.
La plaie des descriptions de la nature, des allusions complaisantes aux choses et au monde dans les œuvres d'art naît d'une équivoque : l'oeuvre, qui veut être un objet naturel parmi les autres, croit y réussir en en réfléchissant le plus qu'elle peut. Mais la nature d'un miroir, ce ne sont pas les apparences à sa surface. Celle-ci sont seulement son utilité. Quand on dit que la poésie est rythme et non imitation, on entend justement en définir la nature. Voilà pourquoi notre poésie veut éliminer de plus en plus les objets. Elle tend à s'imposer elle-même comme l'objet, comme substance des mots.
La pensée que même l'homme marié n'a pas trouvé de solution à sa vie sexuelle est jolie et consolante. Il croyait s'en payer désormais vertueusement et en paix, et il se trouve que, au bout de quelques temps, vient le dégoût de la femme, vient un étouffement comme de prostitution rien qu'à la voir. On s'aperçoit alors que de toute manière on est mal avec cette femme.
Les nations qui parviennent à une grande puissance hégémonique sont en général inconscientes qu'elles sont en train de créer un empire. Consacrées à de menues tâches contingentes, entraînées de conquêtes en conquêtes, elles se trouvent avoir réalisé un grand dessein historique. Celle qui partent en trombe pour devenir la grande nation se casse les jambes à la première occasion et comme elles ont alarmé toutes les autres par leur programme, on se charge tout de suite de leur couper les jarrets. En somme, là aussi : on obtient ce que l'on ne cherche pas. Toujours.
Ce sont des cons ces ethnologues qui croient qu'il suffit de rapprocher les masses des diverses cultures du passé et du présent pour les habituer à comprendre, à tolérer et à sortir du racisme, du nationalisme et de l'intolérance. Les passions collectives sont mues par des exigences d'intérêt qui se travestissent en mythe raciaux et nationaux. Et on n'efface pas les intérêts.
18 août
Quand j'y pensais, cela semblait facile. Et pourtant de pauvres petites femmes l'ont fait.
Il faut de l'humilté, non de l'orgeuil.