Citations sur Les heures lointaines (122)
Ah! Si toutes les relations pouvaient se mener par le seul truchement du papier! Quel bonheur!
Dans mon cas, ce n'est pas seulement un vain souhait : des amis, j'en ai des centaines, qui vivent à l'abri des couvertures de livres, baignant dans l'encre splendide des pages, des histoires qui se déroulent toujours de la même façon sans jamais perdre leur éclat.
Innombrables compagnons qui me prennent par la main, me font franchir le seuil de leur maison,et me conduisent en des mondes de sublimes terreurs et de profonde extase.
Ils ne déçoivent jamais, sont toujours présents, jamais ennuyeux, parfois de bon conseil - mais quand il s'agit de vous héberger un mois ou deux, histoire de vous dépanner, ils ne peuvent pas faire grand-chose, hélas.
Lentement, patiemment, comme une couturière qui ramasse des épingles, elle a rassemblé ses mots. Puis m'a raconté son histoire d'une voix grave et ferme.
P.503
J'ai étalé la couverture sur l'herbe tachetée de soleil et je me suis débarrassée de mes chaussures. Plus loin dans les bois, un ruisseau murmurait son éternelle chanson aux galets de son lit ; des papillons se laissaient porter par la brise. La couverture avait une bonne odeur de lessive et de feuilles foulées aux pieds.
Vous êtes-vous jamais demandé à quoi ressemble l'odeur du temps qui passe ? Je ne m'étais jamais posé la question avant de franchir le seuil de Milderhurst Castle, mais j'en connais maintenant la réponse. Moisissure et ammoniaque, une pincée de lavande et une bonne poignée de poussière, à laquelle on peut ajouter le produit de la décomposition de très anciennes feuilles de papier. Là-dessous quelque chose qui ressemble à des effluves de pourriture ou de plat longuement mijoté, sans pour autant en atteindre l'intensité. Il m'a fallu quelque temps pour identifier ce dernier élément, mais j'y suis enfin parvenue. C'est le passé. Pensées et rêves, espoirs et blessures, jetés dans le même brouet dont le fumet continue à flotter dans l'air stagnant, sans pouvoir jamais se dissiper.
- Dans la vie d'un enfant, il arrive nécessairement un moment où ses yeux se dessillent, où il comprend que ses parents ne sont pas à l'abri des pires bassesses dont l'homme soit capable. Qu'ils ne sont pas invincibles. Qu"ils font parfois des choses guidés par leur seul intérêt, dans le but unique de nourrir leurs monstres intimes. Nous sommes, par nature, une espèce égoïste, mademoiselle Burchill.
La plus jeune des filles s'appelle Juniper, ça veut dire Genièvre. Elle a dix-sept ans, elle est très belle et a de grands yeux. C'est elle qui m'a emmenée au château. Vous saviez qu'on fait le gin avec de baies de genièvre, justement ?
p.256
- Merry, comment peut-on échapper à son destin ? C'est ça, la question.
Un silence suivit. Puis la voix de Meredith, grêle, réfléchie.
- Eh bien... On peut toujours prendre le train, je crois.
p.358
Avec le recul, je me rends compte que je n'ai pas réagi de façon très intelligente. Mais c'est toujours comme ça : le temps fait de nous des experts de nos propres erreurs.
" Nous sommes tous différents, disait-elle. Pourquoi vouloir à tout prix ranger les gens dans des boîtes et leur coller des étiquettes sur le dos : "normal", "pas normal" ? "
La douce voix rauque de Billie Holiday s'éleva. Percy respira profondément, réchauffée par le whisky. Oui, tant mieux ; une musique neuve à laquelle ne s'attachait aucun souvenir. Des années auparavant - des siècles auparavant, lui sembla-t-il, papa leur avait proposé, dans l'un de ses défis littéraires, le mot "nostalgie". Il leur avait lu la définition : "regret douloureusement aigu des choses du passé".
Curieux sentiment, s'était alors dit Percy avec la certitude naïve de la jeunesse. Pourquoi vouloir revivre les lieux et les moments du passé, quand vous attendaient, intacts, les mystères du futur ?