Résilience

— J’ai peur de ne pas comprendre… Vous me dites qu’il existe une manière de produire de l’énergie nucléaire sans risque, et que cette technique existe depuis toujours ?

— Mais cela ne s’arrête pas là, continua Bachaut. La thorite, par exemple, dont on extrait le thorium, se trouve en plus grande quantité sur terre que l’uranium : les ressources sont immenses et se trouvent, de plus, mieux réparties à travers le monde, ce qui lui confère d’autres avantages d’ordre plus géostratégique, dirons-nous. Sur le plan du rendement, le réacteur à sels fondus atteint les quarante pour cent alors que nos réacteurs traditionnels plafonnent à trente-trois pour cent. Je passe également sur le problème des déchets qui, s’il n’est certes pas complètement résolu, est tout de même considérablement amélioré vu que le thorium produit dix mille fois moins de transuraniens, ces déchets longue durée dont personne ne sait que faire – des déchets que les réacteurs à sels fondus peuvent même réutiliser, puisque ce sont des réacteurs régénérateurs

— Mais ce que le grand public ne sait pas, c’est qu’il existe un autre type de réacteurs, qui fut même envisagé par les pionniers de la fission nucléaire, et dans lesquels la fission peut être produite de manière totalement maîtrisée et contrôlée, sans présenter le moindre risque d’accident. Pour cela, il suffit de prendre comme combustible du thorium, de le conditionner sous forme liquide plutôt qu’en crayons solides, et de le mélanger dans un fluide de refroidissement à base de sels fondus qui, lui, n’aurait pas besoin d’être mis sous pression. Cette seule caractéristique est déjà un énorme avantage en soi, en ce qu’elle rend l’explosion d’un réacteur impossible.

— Qu’est-ce qui s’est passé, en 1957 ? demanda Frédéric.
— Pas moins que la quatrième plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire36, expliqua laconiquement Grégoire.
— Jamais entendu parler…
— L’événement a été gardé secret des années durant et les autorités russes n’ont jamais vraiment communiqué dessus ; il ne fut rendu public qu’en 1976. J’ai moi-même fait quelques recherches, du coup : il s’agit d’une explosion qui toucha un centre de stockage de déchets radioactifs. Elle fut si violente qu’elle aurait paraît-il projeté à plus d’un kilomètre d’altitude deux millions de curies de produits radioactifs et, d’après certaines sources, plus de dix fois plus sur le site. Pour te donner une idée, cela représente rien de moins que la moitié de ce qui fut rejeté à Tchernobyl. Il y aurait eu deux cents morts lors de l’explosion et dix mille personnes évacuées ; une zone interdite de deux cent cinquante kilomètres carrés a ensuite été mise en place dans la région de Tcheliabinsk.
Frédéric ne cacha pas son étonnement.
— Des fois, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux ne pas savoir tout ça, soupira-t-il.

— Gardons toutefois à l’esprit que Stuxnet était clairement conçu pour provoquer des sabotages. Il avait pour objectif de rechercher une application développée par Siemens sous Windows pour infecter des programmes de type SCADA14, qui contrôlent non seulement des centrales nucléaires, mais également des installations électriques, ou des infrastructures telles que des oléoducs.

Les scientifiques s'accordent à dire que si l'humanité venait à échouer dans cette mutation, elle entraînerait probablement dans son sillage tout un ensemble de victimes collatérales qui viendraient ajouter leur nom à la macabre liste des espèces en voie d'extinction. Depuis trop longtemps, nous avons oublié que nous partagions ce monde avec de nombreuses autres formes de vie, avec lesquelles nous redécouvrons seulement aujourd'hui notre totale interdépendance; d'autres formes de vie sans lesquelles nous ne pourrions pas même exister. Pendant trop longtemps, nous avons oublié et bafoué ces règles pourtant élémentaires qui nous liaient à elles, qui nous liaient à la terre, tel un cordon ombilical. Pendant trop longtemps, notre inconscience nous a poussés à vouloir nous affranchir de ces notions de respect et de responsabilité envers le monde vivant. Notre développement intellectuel nous donnait non pas le droit de disposer des autres espèces, mais avant tout le devoir de les protéger. Car c'est bien aujourd'hui de notre rapport avec notre environnement qu'il est avant tout question.

— Lorsque les bâtiments exploseront, chacune des piscines de la Hague, chacune, rejettera l’équivalent de soixante-dix Tchernobyl…

— C’est décidément une constante chez les terroristes : vous êtes tous intimement persuadés de la logique de votre raisonnement. Vous ne vous rendez même plus compte à quel point la folie gangrène votre cerveau et corrompt votre capacité de jugement…

De la balle de 25 millimètres aux flèches de calibre 120 millimètres à propulseurs et stabilisateurs internes, les plaines d’Irak en étaient par endroits recouvertes.

Les soldats américains ne tardèrent malheureusement pas à découvrir que les dépôts de cendres engendrés par la mise à feu des pièces d’artillerie contenant de l’uranium appauvri étaient effectivement tout aussi radioactifs et dangereux que les projectiles eux-mêmes : en clair, ces armes se révélaient tout aussi mortelles pour les cibles visées que pour ceux qui les manipulaient.

Les officiels avaient beau jouer sur la sémantique et même aller jusqu’à inventer un terme pour désigner l’étrange maladie qui semblait affecter les soldats américains revenus du front, personne au sein de l’armée n’était dupe, et tout le monde savait parfaitement ce qui se cachait derrière l’appellation "syndrome de la guerre du Golfe".

[...] l’uranium 238, inconsciemment utilisé dans les conflits armés, avait en effet une demi-vie de 4,5 milliards d’années, soit plus de temps que l’espérance de vie de la Terre elle-même.