En sortant de la gare d'Austerlitz:
De tous les quartiers de la Rive gauche, cette zone qui s'étend du pont de Bercy jusqu'aux grilles du Jardin des Plantes reste pour moi la plus ténébreuse. On arrive de nuit gare d'Austerlitz. Et la nuit, par ici, a une odeur de vin et de charbon. Je laisse la gare derrière moi et ces masses sombres, le long de la Seine, que l'on appelait les "Magasins du port d'Austerlitz". Les phares de la voiture ou la torche électrique que l'on tient à la main éclairent quelques mètres du quai Saint-Bernard, devant soi. A l'odeur de vin et de charbon se mêle maintenant celles des feuillages du Jardin des Plantes et j'entends le cri d'un paon et les rugissements du jaguar et du tigre. Les platanes et le silence de la Halle aux vins. Une fraîcheur de cave m'enveloppe. On roule un tonneau quelque part, et ce bruit funèbre s'éloigne peu à peu.p.49/50
Et l'on pouvait croire encore que l'aventure était au coin de la rue.
"A quoi bon tacher de résoudre les mystères insolubles et poursuivre des fantomes quand la vie est là, toute simple, sous le soleil ?"
A vingt ans, j’éprouvais un soulagement quand je passais de la Rive gauche à la Rive droite de la Seine… Tous les quartiers de la Rive gauche n’étaient que la province de Paris
Le boulevard Saint-Michel est noyé, ce dimanche soir, dans une brume de décembre, et l’image d’une rue me revient en mémoire, l’une des rares du quartier Latin - la seule, je crois, qui figure souvent dans mes rêves. J’ai fini par la reconnaître. Elle descend en pente douce vers le boulevard, et la contagion du rêve sur la réalité fait que la rue Cujas demeurera toujours pour moi figée dans la lumière du début des années soixante, une lumière tendre et limpide que j’associe à deux films de cette époque : Lola et Adieu Philippine
Il avait disparu de cette manière subite que je remarquerai plus tard chez d’autres personnes, comme mon père, et qui vous laisse perplexe au point qu’il ne vous reste plus qu’à chercher des preuves et des indices pour vous persuader à vous-même que ces gens ont vraiment existé.
Les portes de paris en ce temps-là étaient toutes en lignes de fuite. La ville peu à peu desserrait son étreinte pour se perdre dans les terrains vagues.
Les Champs-Elysées. Ils sont comme l’étang qu’évoque une romancière anglaise et au fond duquel se déposent par couches successives les échos des voix de tous les promeneurs qui ont rêvés sur ses bords.
J’étais venu chercher Claude Bernard dans sa librairie de l’avenue de Clichy et il voulait m’emmener au cinéma voir Lola ou Adieu Philippine qui m’ont laissé un beau souvenir. Il me semble que les nuages, le soleil et les ombres de mes vingt ans continuent à vivre par miracle dans ces films.