Extraordinairement et paradoxalement difficile d'apprécier ce livre. Apprécier, je veux dire critiquer, en somme, juger, donner un prix. Peut-être parce qu'il s'évapore très vite dans le flou dont chacun s'accorde à dire qu'il caractérise
Modiano. Ce flou qui entoure les personnages, qui sont rarement ce qu'ils paraissent; le sujet - on ne sait pas de quoi il veut parler, réellement -; l'auteur lui-même: les interviews multipliées depuis l'attribution du Nobel montrent à l'envi un homme hésitant, incertain, peu loquace. Et
Dimanches d'Août participe de cette incertitude: échoué à Nice, un photographe narre ses anciennes amours, sa vie manquée. Dans une ambiance à mi-chemin entre Pierrot-le-Fou et La Main au Collet, le récit progresse sans que l'on discerne très bien, là non plus, s'il s'agit d'une parodie de roman noir ou d'un faux sépia de la Côte d'Azur années cinquante. Et pourtant ce tremblé, ce sfumato, s'il s'applique à l'ensemble, laisse apparaître des détails d'une précision parfaite. On a coutume de voir des généralités, une image globale du réel, il faut faire un effort pour agrandir les éléments, les séparer du tout. Chez
Modiano, c'est l'inverse: des objets très nets s'offrent dans une réalité brouillée. Ainsi il n'est jamais abstrait: c'est un artiste. Quand on dit que le récit progresse, du reste, le principe est le même: on ne se lasse pas, il y a des enchaînements, une véritable histoire; mais elle est articulée de façon surprenante, cassée, inversée quelquefois. Jamais de désordre! Une logique, un réalisme au contraire irréprochables. Mais des fils narratifs entremêlés, une chronologie non linéaire, des continuités interrompues. le cours du
roman se perd sur le sable d'une plage dont il n'a jamais été question: La Baule. Jusque là les protagonistes menaient un curieux parallèle entre celles de Nice et des bords de la Marne. Il s'achève sur un épisode situé ni au début ni à la fin, mais dans un entre-deux du drame et des souvenirs du narrateur. le titre
Dimanches d'Août reprend les derniers mots du roman.
Alors, on aime, ou on n'aime pas ? Honnêtement, je ne sais pas. Je suis partagé ! C'est quand même bien fait. Et cela se lit volontiers. J'ai hâte de découvrir les nombreuses autres oeuvres si aisément accessibles maintenant que l'académie suédoise a couronné l'auteur.