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Critique de Nastasia-B


Aujourd'hui, j'aimerais attirer l'attention sur cette nouvelle et, selon moi, trop peu commentée, façon de faire la guerre qui se dessine toujours plus, jour après jour, et qui consiste à envoyer des drones sur l'ennemi, des machins parfois à peine gros comme des oiseaux et qui sèment la mort et la désolation à qui mieux mieux...

Eh bien, au risque de vous surprendre, il existe dans la littérature au moins un livre ancien qui anticipe et qui nous fait réfléchir sur cette nouvelle et ô combien terrifiante forme de guerre, qu'on voudrait nous vendre pour du « chirurgical », « high tech » et « propre ». Oui, vous avez deviné, il s'agit de ce texte éblouissant de Daphne du Maurier, intitulé pudiquement, énigmatiquement, et pour l'éternité, Les Oiseaux...

Alors, effectivement, Les Oiseaux, c'est bien sûr ce célèbre film d'Alfred Hitchcock, d'ailleurs pas forcément génial à mon goût avec son cortège de mouettes grossièrement empaillées, mais qui est rentré dans le cercle assez fermé des grands classiques du cinéma d'angoisse.

Cependant, bien avant ce film — aux qualités discutables —, il y a cette splendide, splendide, ô combien splendide nouvelle de Daphne du Maurier. Et avant d'évoquer quoi que ce soit qui aurait trait à l'histoire, je voudrais tout d'abord saluer le style de cette auteure britannique hors du commun.

Une économie de moyens, une sobriété de formule, une efficacité d'évocation absolument remarquables. Une manière d'écrire qui me rappelle fort John Steinbeck, ce qui, dans ma tête est sûrement le plus beau compliment que je puisse faire à un écrivain tellement le maître californien trône fièrement sur le podium doré de mes auteurs favoris.

Finalement le Nat Hocken des Oiseaux m'apparaît très comparable au George de Des Souris Et Des Hommes ou encore au fameux Tom Joad des Raisins de la Colère. Un type taiseux mais pragmatique, calme jusqu'à un certain point et doué d'une énergie vitale étonnante si le besoin s'en fait sentir.

En quelques pages et avec une poignée de mots, Daphne du Maurier parvient à installer une ambiance de plomb, angoissante au possible, où c'est justement le non dit qui fait deviner le pire. Elle allume des amorces, et notre imagination fait le reste (d'où l'inintérêt manifeste de chercher à montrer et à en faire un film, mais ça, c'est un autre débat).

L'histoire se présente comme suit : au début des années 1950, sur un rivage de la côte anglaise, Nat, un ouvrier agricole, habite une petite maison isolée dans la campagne mais peu distante de la ferme où il travaille. Un soir du début décembre, tandis que l'automne avait été fort doux jusque-là, le vent change brusquement et le temps se met au froid piquant.

Tout un peuple d'oiseaux — des petits passereaux, des étourneaux, des corneilles —, sans doute amené par le froid, vient se bousculer dans les haies, sur les arbres et tout ce qui peut faire office de perchoir. Ces oiseaux pendent par grappes jusqu'à remplacer les feuillages ; ils sont des milliers, des millions probablement...

En mer, sur les vagues rageuses excitées par la houle, les mouettes, les goélands, les fous se massent à perte de vue jusqu'à couvrir les flots sombres de leur blancheur...

Nat a beau fréquenter la baie depuis toujours et avoir vécu des hivers rigoureux, il n'a jamais connu pareil rassemblement de volatiles. le temps n'est guère engageant. Nat se dépêche de rentrer à la maison rejoindre sa femme et ses deux enfants : le petit Johnny et sa grande soeur Jill.

La nuit vient assez vite, il fait un froid mordant, le vent s'insinue sous les portes et fait chanter les tuyaux de cheminée de manière inquiétante. La petite famille Hocken prend son repas calmement faisant cercle auprès du foyer de la cheminée. Tout le monde va se coucher tôt car il n'y a vraiment rien d'autre à faire ce soir que de s'aller blottir sous les couvertures. On souffle la bougie, les enfants s'endorment. Ça souffle toujours aussi fort dehors...

Dans la nuit, Nat est réveillé par des sortes de coups : quelque chose frappe dans une fenêtre ; cela s'arrête puis ça reprend... La femme se réveille également ; Nat se décide à aller voir. C'est un oiseau... Un tout petit oiseau ; un rouge-gorge ou une mésange. Nat ouvre la fenêtre pour chasser cet importun. Ils sont drôlement acharnés ces petits bestiaux, ils veulent absolument rentrer ! Rien d'étonnant, avec ce froid et ce vent ils doivent être affamés...

Nat referme la lucarne. Tiens ! Ses mains sont en sang. Ils lui ont picoré la peau fiévreusement. Rien de grave cependant. Nat retourne se coucher. Mais les coups ne tardent pas à redoubler. Comme c'est étrange, tout de même. Soudain, un cri dans la chambre des enfants. Un carreau a cédé. Ces oiseaux sont déchaînés !

Vite, mettre les enfants à l'abri. Vite, rassurer sa femme. Vite, barricader les fenêtres car ils attaquent par centaines. Il y a maintenant des mouettes qui se jettent à l'aveugle quitte à se briser le cou. Les fous de Bassan font des piqués monstrueux, bec en avant, et viennent s'écraser de tout leur poids sur le sol, morts sous l'impact. S'il y avait qui que ce soit en dessous il serait mis en pièces par tous ces projectiles vivants, petits ou gros.

Une longue nuit d'épouvante commence ; puis une autre le lendemain. On s'organise comme on peut. Il n'est plus question de sortir ni de vivre normalement. Seulement de tâcher de rester en vie tant bien que mal et de consolider ses abris… Je vous laisse découvrir la suite.

Voilà, j'ai essayé, bien maladroitement, de vous faire ressentir l'ambiance dégagée par Daphné du Maurier. Je n'avais pas du tout perçu, en visionnant le film d'Hitchcock, à quoi se référait l'attaque des oiseaux.

À la lecture de la nouvelle, il m'apparaît clairement qu'il s'agit d'une évocation symbolique ou allégorique des bombardements allemands sur l'Angleterre durant la seconde guerre mondiale et sans doute, en cette période de guerre froide et de menace soviétique latente, il ne faut sûrement pas attribuer au hasard le fait que l'auteur précise avec insistance que le vent mauvais vient de l'est.

Elle nous fait vivre l'angoisse, l'incompréhension, la folie aveugle et meurtrière de la guerre sur la population médusée, incrédule, non informée et désarmée qui n'a plus qu'à compter que sur elle-même pour essayer de survivre.

J'ai vraiment adoré cette nouvelle, d'une redoutable efficacité d'écriture même si, à l'instar du film, la conclusion peut nous laisser un petit goût d'inachevé. On pourrait toutefois arguer que c'est une volonté de l'auteure qui souhaite ainsi nous placer dans le même état d'inconfort psychologique que les populations traumatisées par la survenue chronique des salves de bombardements.

Bref, un texte qui retrouve une acuité toute particulière en ce moment, à l'heure des drones de combat qui deviennent, lentement mais sûrement, la norme dans les conflits armés du XXIème siècle. Ce faisant, si ce que j'exprime ici vous paraît farfelu, gardez à l'esprit que ce n'est que mon petit avis, volant au vent, et qu'une bourrasque un peu plus violente pourra chasser sans problème et à jamais, autant dire, pas grand-chose.
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