Lily est impressionnée. Quel esprit d’analyse malgré les circonstances ! D’ordinaire, une victime sur le point de mourir s’affole et hurle comme un chat qu’on baptise mais là, il assure. Il en est presque sexy.
Depuis quelques jours, sa vie d'avant lui échappe. Elle a l'impression d'être sur un terrain de volley, de crier : J'ai, j'ai ! mais de se prendre le ballon en pleine face.
Albert est un amoureux des livres, un vrai. Toucher le vieux papier, caresser la reliure, sentir cette odeur de fibres et admirer la danse des mots imprimés sur les pages est sa drogue, son bonheur.
Mais vois-tu ma Lily, le bonheur est un spaghetti qu'il faut casser. Le bonheur n'est pas une longue route tranquille mais bien une série de morceaux à recoller, de tranches de vie à partager et parfois de miettes à ramasser.
Une infirmière pointe enfin le bout de son nez. Surdosage de maquillage et de cernes autour des yeux. Une ribambelle de stylos se partagent la poche gauche de sa blouse déformant sa généreuse poitrine planquée derrière un soutif de compétition. A ses pieds, les indémodables sabots en caoutchouc percés de petits trous qui rappellent à Lilly le masque de hockey de Jason Voorhees dans Vendredi 13.
Elle, la meilleure rédactrice de modes d'emploi de la région a oublié d'écrire sa propre notice. Celle de son coeur. Celle de sa vie.
La folie est comme ces idées qui vous traversent la tête, elle est passagère. Mais parfois elle s’incruste dans votre mental comme une puce sur le dos d’un chien. Elle vous suce la bonté que vous avez dans le sang, elle vous fait oublier le reste du monde et vous sert un verre de ce nectar puant, en trinquant à votre nouvelle vie.
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Et cette chemise, a-t-elle sa place sur le podium ? Même dans son dressing, aucun cintre ne veut d'elle. Que faire d'un 36 quand on a la taille d'un pot de Nutella ?
Se détendre, devant un bon film, c'est sa dose de bien-être, sa drogue. Elle aime se plonger dans son canapé, le plaid négligemment posé sur ses jambes, sous le regard bienveillant de son Pachira, une plante porte-bonheur achetée chez le fleuriste du coin.
et souvent il arrivait que des spaghettis tombent derrière notre cuisinière. A chaque fois, sans relâche, Vermicelle (une petite souris) venait récupérer son butin.
Elle se logeait entre le mur et le fourneau et piquait la longue tige de blé.
Mais le passage était si étroit que le spaghetti cassait à chaque fois et se transformait en petits bouts de vermicelles. Mais loin de se décourager, elle revenait et revenait et n'en finissait pas avec ses aller-retour ! Elle les voulait ses petits bouts de bonheur !
Au début, son butin avait l'allure d'une belle ligne droite à suivre. Elle s'imaginait la grignoter par les deux bouts et se rassasier à chaque bouchée.
Mais vois-tu ma Lily, le bonheur est un spaghetti qu'il faut casser. Le bonheur n'est pas une longue route tranquille mais bien une série de morceaux à recoller, de tranches de vie à partager et parfois de miettes à ramasser.