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Critique de GabrielKevlec


Élise vient de tuer un homme. Et ce n'est pas la première fois.
Cet homme s'appelle Jaco, elle voulait le faire licencier pour avoir molesté une domestique prénommée Myriam. Il aurait pu porter un tout autre nom. Ou ne pas en porter du tout. Il n'est qu'un homme après tout, un symbole, un pantin. Il a giflé Myriam, et j'ai tremblé avec elle d'une rage montée d'un coup comme un raz de marée. Ce coup n'était même pas une surprise… Jaco est un homme qu'on a élevé, éduqué à grands coups de valeurs dévoyées dans cette Afrique du Sud qui ne s'est jamais vraiment relevée de l'Apartheid. À travers l'écriture fine et ciselée de l'autrice, on le comprend presque, cet homme. Sans lui trouver d'excuse, on suit son cheminement de pensée, lui qui a grandi sur le terreau immuable de la haine, à travers le récit de l'héroïne. Aurait-il seulement pu être autrement ?
Soline Lippe de Thoisy réussit le tour de force de poser ces bases dès le début du roman sans tomber dans le manichéisme facile des histoires de violences infligées aux minorités ou aux opprimés. Aucun personnage n'est parfaitement bon ou mauvais, chacun est le fruit de son histoire, un héritage de plusieurs siècles, un maelström de souvenirs qui reviennent d'un seul coup et viennent faucher l'élan du quotidien. Quel a été le déclencheur exact ? Peu importe.
À un moment, ce fut trop. Et Élise s'est soulevée, et toutes les femmes avec elle.
« […] tellement certains de la soumission des femmes, les hommes ne se méfient pas. Dans leurs nuits intranquilles, quand même garder les yeux fermés ne suffit plus à ignorer le voile qui se lève sur la grande tartufferie qu'est leur domination […], ils ignorent la rage qui monte, immédiate et silencieuse, de celles qui dorment à leurs côtés. »
Elle a tué, oui. de sang-froid,… non. Il n'y a rien de froid dans cette chasse folle à l'intégrité perdue. Elle a tué avec cette violence même qu'elle a ressentie, vue, subie dans sa chair, dans la chair et l'histoire de celles qu'on n'a jamais vraiment écoutées, que l'on a mises en doute, ridiculisées, battues, humiliées, encore, et encore.
Alors oui, ce fut trop. Et c'est ce trop qui nous aspire tel un vortex dans ces lignes, une écriture juste et nerveuse, enlevée et très addictive. Cette quête de vengeance nous fait voyager dans des paysages décrits avec une vraie délicatesse, dans une ambiance que l'on ressent comme un larsen, une tension sous-jacente, impalpable, mais impossible à ignorer.
C'est, je crois, ce qui m'a plu en tout premier lieu dans cette écriture : ce je ne sais quoi qui fait qu'on ne peut poser le livre, ce frémissement nerveux sous les mots, telle une rage contenue que l'on sent prête à déferler.
J'ai particulièrement aimé la complexité des personnages, jusqu'à cette héroïne que l'on ne peut totalement approuver dans ses gestes et pourtant… que l'on comprend tellement…
Jusqu'à cette fin tout sauf attendue et prévisible, l'autrice nous mène de ligne en ligne sans temps mort. Une très belle découverte que je ne peux que recommander avec une petite prévention : travaillez votre apnée, certains passages vous font perdre souffle, écumer de rage et donner en pensées par nous-mêmes le coup fatal. Parce que… on se l'est tous dit au moins une fois, n'est-ce pas… il fallait bien que quelqu'un le fasse !

Une fois n'est pas coutume, je finirai par un mot sur le commencement. L'avant-propos de ce roman m'a heurté avec la force d'un train. Alors je vais oser une chose que je n'ai jamais faite : je vais emprunter les mots si beaux, si forts, de cette autrice de talent, et les mettre dans une autre bouche, la mienne, à destination d'une autre personne, qui se reconnaîtra peut-être.
Parce qu'on n'oublie jamais.
Et que dans cet avant-propos il y a bien plus que des mots. Il y a des poings.
« Ne te méprends pas. Je ne t'oublierai pas. Je ne te pardonnerai jamais. Si par un hasard extraordinaire ma route croise celle d'un de tes amis, d'un descendant, je parlerai et les regarderai se noyer dans la honte. Si un jour maudit le destin te met sur ma route, je te tuerai. »

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