Ce tome comprend le début d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 1992/1993, créés, dessinés et encrés par
Rob Liefeld. Cette édition présente la particularité d'avoir été réécrite par
Joe Casey en 2008 (effaçant ainsi le travail initial d'Hank Kanalz). Ces épisodes constituent une histoire complète. Il se termine avec 9 pages d'une version de 1987 correspondant au portfolio réalisé par Liefeld pour se présenter aux recruteurs dans les conventions, ainsi que les couvertures originales, et quelques crayonnés.
La séquence d'ouverture montre 5 superhéros, rejoints par Jason Kirby, qui vont se frotter à un supercriminel nommé Darkthornn. La séquence suivante montre Jeff
Terrell discutant avec sa copine mannequin. Puis le lecteur voit passer rapidement Badrock (Thomas John McCall), Diehard, Vogue (Nikola Voganova) et Chapel (Bruce Stinson).
Le récit passe ensuite à l'autre équipe de Youngblood (Away team) qui se trouve en mission en Iraq, dans la banlieue de Bagdad. Ils se battent contre des gugusses en armures (ou des cyborgs, difficile à dire), en progressant rapidement pour aller s'occuper d'Hassan Kussein.
En 1992, 7 des dessinateurs les plus vendeurs travaillant pour
Marvel Comics prennent leur indépendance, fondent leur propre maison d'édition baptisée Image Comics, et lancent chacun leur série. Il s'agit de Jim Lee (WildC.A.T.s : Covert-Action-Team),
Todd McFarlane (Spawn),
Erik Larsen (Savage Dragon),
Jim Valentino (Shadowhawk),
Marc Silvestri (Cyberforce),
Rob Liefeld (Youngblood) et
Whilce Portacio (Wetworks). Image Comics fonctionne comme une maison d'édition chargée de la partie administrative à laquelle se rattachent les 7 studios correspondant formant autant de branches. Parmi eux, seuls
Erik Larsen et
Todd McFarlane ont continué à produire ou à faire produire leur série presque mensuellement.
Ce recueil présente les 5 premiers épisodes de Youngblood qui ont bénéficié d'une réécriture pour l'occasion. Pour comprendre cette lecture il faut prendre en compte qu'elle est indissociable de la personnalité de
Rob Liefeld, créateur ayant polarisé et polarisant encore le lectorat. Insatisfait du travail effectué par le coscénariste originel, il a confié le reformatage à
Joe Casey, scénariste chevronné, reconnu pour sa capacité à imaginer des histoires de superhéros non-conventionnelles.
À la découverte de ces épisodes, la première chose qui marque le lecteur est le nombre de personnages. Dès le premier épisode, Liefeld introduit 3 équipes différentes, soit une vingtaine de superhéros. La deuxième chose qui frappe (le terme n'est pas trop fort) le lecteur est le parti graphique, très affirmé et très personnel.
Rob Liefeld dessine pour le fan de comics de superhéros. Il n'hésite pas à exagérer tous les éléments qui participent au facteur "Cool". Les superhéros masculins ont des gros poings (souvent plus gros que leur tête), des cuisses énormes, des pieds minuscules, des costumes avec des pochettes innombrables, des flingues démesurés (au cas où leur superpouvoirs ne suffiraient pas), la mâchoire serrée en montrant les dents une fois sur deux, des épaules chacune plus grosse que la tête, une endurance hors du commun, des épaulettes démesurées, et pour certains un accessoire vestimentaire déconcertant comme des tubes autour de l'épaule.
Les femmes présentent également une apparence caractéristique : une taille de guêpe, une poitrine hypertrophiée, des jambes d'une longueur interminable, une cambrure systématique, et des petits pieds. Liefeld a l'art la manière de dessiner ses personnages toujours à fond dans l'action, habités par une agressivité inextinguible, souvent en train de courir ou de sauter.
Le langage corporel est à l'aune de l'apparence des personnages : les muscles sont tout le temps bandés, et les postures sont toujours défiantes et hautaines. Les expressions des visages sont à piocher dans un choix de 3 possibles : expression neutre et visage fermé, bouche grande ouverte, et bouche grande ouverte avec les dents serrées. Les compositions et découpages de page sont tous conçus pour présenter un impact maximal, avec soit les personnages bondissant vers le lecteur, soir un coup assené avec brutalité mettant le point d'impact en avant dans la composition.
Liefeld conçoit des dizaines de costumes différents, tous facilement reconnaissables, comme si ça ne coutait rien. Il réalise une économie substantielle sur les décors. Il ne les représente en arrière-plan que contraint et forcé et souvent de manière schématique. Cette caractéristique est telle que parfois le lecteur en oublie où se déroule l'action, au point de ne plus se rappeler si la scène se déroule en intérieur ou en extérieur.
La consultation de critiques expertes permet d'apprendre que
Joe Casey a effectué un travail extensif de recomposition. Il a réécrit tous les phylactères, réordonné les pages, et parfois changé l'ordre des cases dans une planche. L'histoire commence donc sur les chapeaux de roue avec la présentation d'une équipe en pleine action rejointe par Jason Kirby (un hommage à
Jack Kirby dessiné comme un superhéros testostéroné, avec un gros flingue et un cigare) pour aboutir au méchant de l'histoire (une sorte de Darkseid générique, sans motivation et avec encore moins de personnalité).
Au fil de ces 5 épisodes, le lecteur n'apprend rien sur l'histoire personnelle de chaque superhéros, pas grand-chose sur leurs superpouvoirs (je cherche encore ceux de Vogue, mais Chapel a un gros flingue), rien sur leur motivation, pas grand-chose sur leur personnalité (à l'exception de Badrock).
Malgré tous les efforts de mise en cohérence de
Joe Casey, il est bien difficile de s'intéresser à une histoire superficielle qui semble sauter du coq à l'âne, évoquant une bribe d'intrigue secondaire le temps de 2 cases, pour l'oublier tout de suite après comme si elle n'avait jamais existé.
Malgré tous les efforts pour étoffer l'intrigue réalisés par
Joe Casey, le lecteur a l'impression de sauter d'une situation explosive à l'autre, au gré de la fantaisie du scénariste (ou plutôt du dessinateur), sans réelle résolution, sans conséquence, avec une logique des plus ténues. Il paraît que l'original était encore pire donnant l'impression que Liefeld concevait son récit au fur et à mesure qu'il réalisait ses planches, se lassant d'une idée dès la page suivante et passant à autre chose de plus COOL.
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- le contexte
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Pourtant il est difficile de dénigrer ce récit sans arrière-pensée. Pour commencer, le numéro 1 de "Youngblood" a été le premier comics publié par Image Comics, éditeur qui 20 ans plus tard existe toujours, avec un pourcentage de marché significatif, et qui offre une alternative étoffée et sophistiquée aux aventures de superhéros produites au kilomètre par Marvel et DC. Il s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires, quantité qui fait rêver tous les éditeurs depuis plus de 20 ans.
Rob Liefeld est un créateur pétri de paradoxes. Il est capable de créer des concepts chocs et limpides. Dans la préface,
Mark Millar souligne que Liefeld mettait en scène un groupe de superhéros gérant leur image comme des sportifs de haut niveau, dès ces épisodes, une thématique reprise et développé par bien des auteurs depuis.
L'hommage que Liefeld rend à
Jack Kirby (au travers du personnage de Jason Kirby) est d'une candeur désarmante. À la fois, Liefeld indique clairement ce qu'il doit à cet auteur, reconnaissant sa dette, et plaçant
Jack Kirby sur le devant de la scène (à une époque où
Stan Lee était encore considéré par beaucoup comme le père de Marvel). À la fois, le personnage de Jason Kirby ne reprend que la surface des dessins de Kirby (pour être gentil), sans aucune de ses valeurs morales, de sa curiosité insatiable, de sa capacité à imaginer des concepts.
Rob Liefeld manipule avec aisance les codes graphiques des comics de superhéros en les exagérant : muscles d'une grosseur impossible, femmes à la taille de guêpe (plus fine que leur cheville, si, si, il l'a fait), personnages posés dans des postures agressives ou aguicheuses, exagération de la force, etc. le lecteur de superhéros est à la fête avec un tir de barrage de conventions graphiques exagérées à chaque page. L'amateur de bandes dessinées normales s'interroge.
Liefeld dispose d'une maîtrise toute relative de la perspective. Il ne sait pas composer une image sur plusieurs plans. Il n'a aucune notion d'anatomie. Il trouve tous les raccourcis possibles pour ne pas dessiner de pied. En bref : il ne sait pas dessiner, de quoi énerver tous les dessinateurs ayant passé des heures à apprendre leur art et qui n'en vivront jamais.
Côté business, le modèle Liefeld laisse également à désirer. Il est parti de chez Marvel pour ne plus se faire exploiter. Il a réussi un coup exceptionnel avec le lancement de sa série. Il s'est empressé de reproduire le modèle de contrat de travail de main d'oeuvre (identique à celui de Marvel) pour ses propres employés, sur maintes séries dérivées (dont Youngblood Battlezone, Youngblood Strikefile, Prophet, Brigade Bloodstrike). Qui plus est, il semblerait qu'en tant qu'employeur, Liefeld avait du mal à payer les salaires.
En tant que créateur,
Rob Liefeld a réussi à réaliser 10 épisodes de la première série "Youngblood" entre décembre 1992 et décembre 1994 (et encore l'épisode 9 a été réalisé par
Jim Valentino). Il n'est donc pas un auteur très prolifique, ni très régulier, par rapport au modèle économique de sérialisation, à raison d'un épisode par mois.
Malgré ces défauts d'homme d'affaires,
Rob Liefeld a réussi à convaincre d'autres créateurs de devenir ses employés. Première relance de Youngblood en 1993 par
Eric Stephenson,
Todd Nauck, et
Roger Cruz, pour 15 épisodes. Troisième série de Youngblood en 1998 : 2 épisodes par
Alan Moore et Steve Skroce (voir Judgment Day). En 2008,
Joe Casey et Derek Donovan relancent Youngblood pendant 8 épisodes, Liefeld réalisant l'épisode 9. Enfin John McLaughlin et John Malin réalisent 8 nouveaux épisodes à compter de 2012.
Au final, "Youngblood" a marqué d'une empreinte indélébile l'histoire des comics, tout en réussissant à n'être qu'une collection de clichés disproportionnés flattant les plus bas instincts des lecteurs de comics, réalisé par un créateur sans compétence de dessinateur, avec une éthique d'employeur sujette à caution.